Une continuité imparfaite: la nouvelle Constitution hongroise
Le 18 avril 2011, le Parlement hongrois a adopté une nouvelle Constitution, sous le nom de « Loi fondamentale de la Hongrie ». Une semaine plus tard, le 25 avril, le Président de la République promulguait la nouvelle Constitution au journal officiel. Ce jour n’était pas seulement le lundi de Pâques, mais également le premier anniversaire de la victoire électorale des partis conservateurs désormais au gouvernement (Fidesz et KDNP), où ceux-ci avaient obtenu la majorité parlementaire leur permettant de modifier la Constitution. Les « Dispositions transitoires quant à la Loi fondamentale de la Hongrie » furent adoptées le 30 décembre 2011. Au 1er janvier 2012, la Loi fondamentale et les Dispositions transitoires entrèrent en vigueur.
Si les travaux préparatoires, la codification et le contenu de la nouvelle Loi fondamentale furent violemment critiqués en Hongrie par l’opposition qui considérait qu’ils représentaient la fin de l’État de droit de par leurs caractères antidémocratique et peu transparent, le gouvernement au contraire les portait aux nues. Les arguments respectifs (dépendant évidemment des sympathies politiques) furent repris par les hommes politiques et les médias étrangers, où la critique prévalait. Dans la presse étrangère, l’impression se répand ainsi que la démocratie en Hongrie est peu à peu réduite. Sur ce sujet et jusqu’à présent, très peu a été écrit en langue française en ce qui concerne le Droit. Cette contribution tente de remédier à ce manque et d’étudier comment la Loi fondamentale peut être considérée vis-à -vis du courant dominant dans les constitutions européennes. Nous tenterons de montrer que le texte de la Loi fondamentale n’est en aucun cas celui d’un discours d’une dictature naissante, quand bien même quelques réglementations font débat. Naturellement, on ne saurait ici analyser la totalité de la Loi fondamentale. Nous examinerons plutôt quatre thèmes essentiels: la continuité avec la Constitution précédente (I), le niveau de protection des droits fondamentaux (II), la continuité et l’impondérabilité dans l’organisation juridique de l’État (III), et la durée de vie prévue de la nouvelle Loi fondamentale (IV).
I. Rupture ou continuité? Le rapport à la Constitution précédente
1. La Constitution démocratique de la Hongrie après 1989
Comme chacun sait, il n’y a pas formellement eu de nouvelle Constitution adoptée après le changement de régime dans les années 1989-1990. Le parti communiste (le parti socialiste ouvrier hongrois, MSZMP) et l’opposition démocratique s’étaient entendus sur une révision totale de la Constitution communiste adoptée en 1949.
Que la Constitution démocratique réalisée de cette manière n’eut qu’un caractère provisoire, a deux types de conséquences. D’une part, le texte nécessitait un préambule – semblable à celui de la Loi fondamentale allemande jusqu’à sa modification le 23.09.1990 – pour exprimer que la Constitution devait prévaloir jusqu’à l’adoption d’une nouvelle Constitution. D’autre part, l’art. 24.3 du texte de la Constitution concernant le changement de Constitution, qui comprend également l’adoption d’une nouvelle Constitution, exige seulement une majorité des deux-tiers des députés du Parlement, qui se compose d’une seule chambre. Cette relative flexibilité avait été pensée à l’origine pour permettre, après les premières élections libres du printemps 1990, l’adoption formelle d’une nouvelle Constitution par les anciens partis de l’opposition démocratique.
Mais contrairement à cet objectif primitif, il devint clair dès 1990 que les anciens partis d’opposition étaient à tel point divisés, qu’un accord sur une nouvelle Constitution était exclu. Qui plus est, la Cour constitutionnelle utilisa sa compétence de contrôle ultérieur des normes afin de combler les lacunes du texte de la Constitution et de rendre celle-ci effective pour le pouvoir législatif. La Cour constitutionnelle en tant qu’institution devint rapidement connue et populaire, ses décisions à l’égard des mesures d’austérité en 1995 y contribuant beaucoup.
Si une nouvelle Constitution ne fut pas ratifiée lors du changement de régime, le débat sur la nécessité de celle-ci resta ouvert durant les 20 dernières années. Du fait de la division des élites politiques, on en resta aux changements constitutionnels de 1989 (même dans les cas de gouvernement de coalition disposant d’une majorité leur permettant de modifier la Constitution, comme ce fut le cas lors de la coalition gouvernementale libérale de gauche de 1994 à 1998, les profondes divergences idéologiques menèrent à un échec du changement de Constitution). La flexibilité de la Constitution fut toutefois fréquemment utilisée pour effectuer des changements constitutionnels ponctuels. Entre les premières élections libres de 1990 et les dernières en date, celles de 2010, cela eut lieu 22 fois au total.
Alors que les sondages précédant les élections législatives du printemps 2010 prévoyaient un raz-de-marée du parti d’opposition Fidesz (allié avec le petit parti-satellite KDNP), des craintes apparurent que le Fidesz puisse utiliser une majorité suffisante pour modifier la Constitution. Bien qu’il n'annonça pas ce projet avant les élections, le Fidesz indiqua, après avoir remporté celles-ci à la majorité des deux-tiers, qu’il allait adopter une nouvelle Constitution. Le Fidesz forgea à cette occasion l'expression d’une « Révolution dans les bureaux de votes », en déduisant que la nouvelle Constitution ne serait pas élaborée dans la continuité de la précédente, même si c’était précisément la Constitution de ces 20 dernières années qui avait permis le changement de système annoncé. Dans le même temps, la population n’était pas convaincue, selon des sondages, de la nécessité d’une nouvelle Constitution. Même le président de l’Assemblée admit plus tard qu’il n’y avait aucun besoin d’une nouvelle Constitution.
2. La Loi fondamentale : rupture rhétorique et continuité juridique
La procédure pour doter le pays d’une nouvelle Constitution, si elle était défendue par le Fidesz, a été rejetée par les partis d’opposition. Cela mena à un texte qui, dans sa rhétorique, voulait suggérer un retour aux racines historiques de l’État hongrois tandis qu’il était, dans sa teneur normative, basé sur la Constitution démocratique de 1989. Les critiques quant au style du texte, aux erreurs de rédaction ainsi qu’à la partialité politique et les erreurs d’interprétations historiques – le préambule se base ainsi sur la « profession de foi nationale » – peuvent être ici laissées de côté. En revanche, nous serons attentifs, sous l’angle de la continuité, à l’appellation de « Loi fondamentale », au rôle de la « Constitution historique » ainsi qu’à la déclaration dans le Préambule affirmant que « nous ne [reconnaissons] pas la Constitution démocratique de 1949, car elle fut la base d’une domination tyrannique, aussi la considérons nous comme nulle. »
Avant tout, le choix des mots est remarquable : « Loi fondamentale » plutôt que Constitution. Une « historisation » pure ne se cacherait-elle pas derrière ce terme ? La Hongrie n’avait pas de Constitution au sens formel avant 1949 mais, de façon comparable au Royaume-Uni, seulement une série de lois importantes (à commencer par les lois de Saint Etienne, 1000-1038), de doctrines et de coutumes. Une part importante de cette « Constitution historique » était la Doctrine de la Sainte Couronne décrite par Stephanus WerbŠ‘czy. Celle-ci était un amalgame entre des théories médiévales de l’organisation étatique et la doctrine de la Sainte Couronne. Selon cette doctrine, les états et le roi étaient tous des membres de la couronne. Le pouvoir n’est pas issu du roi mais de la Sainte Couronne, avec laquelle le roi est couronné (la couronne originelle de Saint Etienne se trouve actuellement au Parlement hongrois). Le territoire du royaume est la propriété de la Sainte Couronne. Le roi détient simplement un mandat de force publique à exercer pour la Couronne. Le texte de la Loi fondamentale ne fit, en fin de compte, pas explicitement référence à cette théorie, malgré les revendications de l’extrême droite. D’autres signes montrent toutefois les liens des auteurs de la Constitution avec ces traditions.
La désignation de la Constitution comme « Loi fondamentale » est l’un de ces signes : cela suggère que la Loi fondamentale est une simple loi se situant dans la lignée des grandes lois hongroises depuis l’an mil. Il n’y a pas de rupture d’un point de vue juridique : la Loi fondamentale est une Constitution au sens formel (en effet, elle est plus difficile à modifier qu’une simple loi) ; de façon rhétorique, toutefois, les liens avec la Constitution historique sont exprimés.
La rupture avec la précédente Constitution dans le préambule de la Loi fondamentale semble encore plus significative : la Constitution de 1949 est en effet considérée « comme nulle ». Il est toutefois remarquable que la disposition finale n°2, d’après laquelle la Loi fondamentale a été adoptée conformément aux procédures de la précédente Constitution, contredit on ne peut plus clairement cette déclaration du préambule. Le préambule est ainsi faible normativement (mais important d’un point de vue rhétorique). Il indique une rupture alors que disposition normative décisive (mais dissimulée à la fin du document) parle au contraire en faveur d’une continuité. La contradiction entre la partie normative de la Loi fondamentale et son préambule est atténuée par le fait que le préambule désigne la date des premières élections libres en 1990 comme les débuts de la nouvelle démocratie et du régime constitutionnel. Dans cette perspective, la déclaration de nullité de la Constitution de 1949 ne pourrait se référer qu’à la Constitution valable jusqu’au 2 mai 1990. Mais même un rejet restreint de la Constitution communiste de 1949 serait absurde étant donné que la validité de nombreuses lois adoptées durant la période 1949-1990, notamment le Code Civil et le Code Pénal, serait remise en question. Cette limitation clarifie cependant le fait que les rédacteurs de la Constitution reconnaissent la hiérarchie des valeurs de la Constitution précédente et qu’ils ne nient pas la continuité dans ce sens. Cela sera particulièrement important pour savoir jusqu’à quel point l’interprétation de l’ancienne Constitution par la Cour constitutionnelle s’appliquera pour des dispositions identiques de la Loi fondamentale.
L’art. R.3, qui suit la même logique, affirme : « le contenu de la Constitution historique » doit être utilisé à l’échelle des objectifs visés. Si, de façon rhétorique, cela ressemble à une réanimation de la Constitution historique, cette disposition est, d’un point de vue juridique, largement inutile. D’un côté, on ne sait pas exactement ce qui doit être compris par le terme de « Constitution historique » (quelles anciennes lois ?). De l’autre, certaines parties de ces anciennes lois ne sont ni acceptables (par exemple des règles féodales datant du moyen-âge) ni compatibles avec le régime républicain. Pour éviter de telles absurdités, la littérature scientifique a proposé d’utiliser le mot « acquis » comme filtre. Un « acquis » est seulement ce qui est dans les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et qui correspond aux idées modernes de l’ordre constitutionnel. Avec cette interprétation, l’indication vers la Constitution historique serait certes tautologique, mais elle ne serait tout du moins pas absurde.
Une autre solution d‘interprétation serait la suivante : il faut considérer que la Constitution historique n’était pas seulement vague, mais également extrêmement flexible et adaptée aux exigences répétées de chaque époque. Il n’y a aucune objection à ce que la Constitution historique ne soit pas considérée comme une structure figée (comme en 1944) mais plutôt comprise comme le réceptacle des évolutions constitutionnelles modernes. Dans ce sens, on pourrait argumenter avec succès que la jurisprudence constitutionnelle sous la Constitution démocratique des 20 dernières années est également une partie de la Constitution historique et vaut donc comme une échelle d’interprétation pour la Loi fondamentale (LF).
II. Les garanties des droits fondamentaux
La continuité de fond entre la Constitution précédente et la LF concerne aussi bien les Schranken-Schranken (1) que les droits de liberté et d’égalité. Même la transformation des droits sociaux fondamentaux dans les objectifs de l’État n’apporte pas de changement de contenu si on la compare à l’interprétation des droits sociaux fondamentaux adoptée jusqu’ici par la Cour constitutionnelle (2). Les Dispositions transitoires soulèvent en revanche d’importantes réserves sur quelques droits fondamentaux, notamment le principe nullum crimen sine lege et le droit de juger à partir du droit (3).
1. La garantie du cœur inviolable des droits fondamentaux et le principe de proportionnalité
La LF ne rompt pas avec la tradition de la Constitution précédente, les restrictions aux droits fondamentaux ne sont pas introduites dans les droits fondamentaux mais dans une clause globale à régler.
Jusqu’à présent, seul l’art. 8.2 de la Constitution contient le noyau intangible des droits fondamentaux (Wesensgehaltsgarantie). Sur cette base, la Cour constitutionnelle se prononçait en faveur d’une certaine compréhension de la Wesensgehaltsgarantie, en déclarant le respect du principe de proportionnalité comme mesure du respect de la Wesensgehaltsgarantie. Il ne faut toutefois pas oublier que la Cour constitutionnelle a explicité ce principe de façon quelque peu différente de la doctrine constitutionnelle allemande. Bien que dans la doctrine constitutionnelle allemande, les sous-principes développés de la convenance, de la nécessité et de l’adéquation sont mentionnés dans plusieurs décisions hongroises, le principe de proportionnalité est souvent réduit à une formule abrégée. Il en ressort qu’une restriction d’un droit fondamental est contraire à la Constitution lorsque la restriction a lieu sans motif impérieux ou lorsqu’elle apparaît excessive en comparaison avec les buts poursuivis. A cette occasion, la jurisprudence et les ouvrages scientifiques soulèvent la question de savoir si un motif impérieux est suffisant pour une restriction des droits fondamentaux, question différente de la question de la nécessité dans la terminologie allemande.
Concernant la question de ce qui peut être estimé comme un motif impérieux dans le contexte de l’art. 8.2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle se prononce, au moins de façon rhétorique, pour un critère strict. Cela présente des similitudes avec le terme juridique allemand connu sous le nom de « barrières immanentes » (immanente Schranken). De l’avis de la Cour constitutionnelle, une atteinte aux droits fondamentaux peut seulement être légitimée par la protection de droits individuels tiers ou de « biens constitutionnels ». Le droit à la propriété est toutefois une exception. Cette position stricte qui, par une application cohérente, aurait pu, dans une large mesure, mener à une paralysie du législateur, a cependant été adoucie dans la pratique par une interprétation large du concept de « bien constitutionnel » (qui peut se substituer à celui « d’intérêt public »). Cette attitude stricte qui, par un ajout conséquent, aurait pu mener à une paralysie étendue du législateur, fut toutefois adoucie dans la pratique par l’interprétation large du concept de « bien constitutionnel » (qui peut se substituer à l’intérêt public).
La LF reprend la Wesensgehaltgarantie dans son art. 1.3, mais elle la complète expressément avec l’ancrage du principe de proportionnalité. Sur le plan de la proportionnalité, le législateur codifie la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans l’art. 1.2 phrase 2 de la LF. Elle dispose : « un droit fondamental peut être restreint dans l’intérêt de la réalisation d’un autre droit fondamental ou en vue de la protection d’un principe constitutionnel, et ce dans les cas d’absolue nécessité et relativement quant au but à atteindre, sous condition de respect du contenu essentiel du droit fondamental. »
Il en ressort que l’application du principe de proportionnalité ne changera probablement rien. Ce qui est nouveau, cependant, c’est que la Wesensgehaltsgarantie est standardisée de la même façon que le principe de proportionnalité. Par conséquent, elle obtient une signification autonome et ne peut probablement plus être conçue comme jusqu’à présent. Cela mènera sans doute à ce que la Wesensgehaltsgarantie soit désormais totalement interprétée selon le modèle allemand. Cela ne devrait pas pour autant changer fondamentalement la pratique juridique quotidienne et la LF serait riche d’une clé de voûte supplémentaire dans la structure des garanties des droits fondamentaux.
2. Les droits individuels de liberté et d’égalité et les droits sociaux
En ce qui concerne les droits de liberté et d’égalité, la LF reprend le catalogue des droits fondamentaux de la Constitution précédente et le complète avec quelques droits fondamentaux contenus dans la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, comme l’interdiction dans l’art. 3.3 de la « copie » d’êtres humains. De surcroît, une interprétation relativement inaccessible du droit à l’auto-défense a été introduite dans l’art. V de la LF.
Avec quelques exceptions, le texte de la LF ne déprécie pas le niveau de protection de la Constitution. De ce point de vue, une exception notable est l’autorisation expresse de réclusions à perpétuité, dans l’art. IV.2 de la LF, pour les perpétrations volontaires de délits avec emploi de violence. Il n’est pas exclu qu’une telle réclusion illimitée – qui existe déjà dans le code pénal hongrois – transgresse l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Des sanctions semblables existent certes également en Italie (ergastolo, art. 22 du code pénal italien), en Angleterre, au Pays de Galles (whole life order, Criminal Justice Act 2003), aux Pays-Bas (levenslange gevangenisstraf, art. 10 du code pénal néerlandais) et en France (réclusion criminelle à perpétuité, art. 221-3. et 221-4 du code pénal français), mais ils sont également vigoureusement critiqués dans les ouvrages scientifiques (ce qui est fondé selon notre opinion).
En revanche, la référence explicite à l’art. L.1 de la LF n’est pas une régression en soi: « la Hongrie protège l’institution du mariage comme l’union consentie entre un homme et une femme, ainsi que la famille comme la base de la perpétuation de la nation. » Que cette disposition ne soit pas incluse dans un droit individuel mais plutôt dans les dispositions générales ne change rien à la situation juridique jusqu’alors, étant donné que la Constitution précédente mentionnait également le mariage dans les dispositions générales. La définition même du mariage comme une communauté de vie entre un homme et une femme ne conduit à aucun changement de fond, car la Cour constitutionnelle, en se basant sur la Constitution, a toujours considéré le mariage comme étant une relation entre un homme et une femme. Sur ce point, la LF ne fait donc que codifier une jurisprudence déjà existante. De plus, même une référence explicite à l’homme et à la femme dans le texte de la Constitution n’exclue pas que le mariage homosexuel soit introduit – comme cela a été le cas en Espagne.
De même n’y a-t-il pas de modification de fond conséquente dans les dispositions sociales, qui étaient conçues dans la Constitution précédente comme des droits fondamentaux. Certes, la LF reformule quelques uns de ces droits sociaux fondamentaux en objectifs étatiques (il s’agit du droit au travail et du droit à la sécurité sociale), mais la Cour constitutionnelle ne les a jusqu’alors interprétés que comme étant des objectifs d’État qui obligent ce dernier à créer certaines institutions et qui ne constituent pas en général des normes constitutionnelles immédiates. Qui plus est, de nombreuses dispositions sociales de la LF sont encore garanties comme étant de véritables droits fondamentaux. Par exemple le droit inspiré de la Charte européenne des Droits fondamentaux dans l’art. XVII.3 de la LF quant aux conditions de travail qui doivent respecter la santé, la sécurité et la dignité des travailleurs. On peut en dire autant pour l’art. XVII.1 interdisant le travail des enfants.
Toutefois, le préambule de la LF apparaît problématique quant à la protection des droits fondamentaux. Il pourrait mener, par une certaine interprétation, à une diminution du niveau de protection de certains droits fondamentaux. Par exemple, lorsqu’il affirme que la Chrétienté a un rôle de ciment de la Nation, que « les cadres les plus importants de notre vie en communauté sont la famille et la nation, et les valeurs fondamentales de notre identité sont la fidélité, la foi et l’amour. » La solution interprétative serait que cette partie du préambule soit également interprétée sous l’angle des traités de droit international quant aux droits de l’homme (cela serait rendu possible par l’art. Q) et qu’en conséquence elle soit réduite à une simple déclaration rhétorique.
3. L’acte de Dispositions transitoires
Selon le point 3 des dispositions finales de la LF, le Parlement doit ratifier les Dispositions transitoires pour introduire la LF, et ce conformément aux règles de procédure pour le changement de la Constitution, inscrites dans la Constitution précédente. Étant donné que le point 2 des dispositions finales cite les mêmes directives constitutionnelles, on part du principe que le législateur envisageait de donner la même valeur à l’acte de Dispositions transitoires qu’à la LF.
Dans ce contexte, le fait que l’acte de Dispositions transitoires contient des restrictions spécifiques aux droits fondamentaux soulève de sérieuses interrogations.
Tout d’abord, l’art. 1.1 de l’acte de Dispositions transitoires prévoit que, sur la base de lois, des prestations accordées à des dirigeants de la dictature communiste visés dans la loi peuvent être réduites. Cela ouvre ainsi la voie à une réduction substantielle des pensions de retraites des anciens fonctionnaires communistes.
Deuxièmement, l’art. 2.1 de l’acte de Dispositions transitoires déclare que les crimes graves commis contre la Hongrie ou contre des individus au nom du parti d’État ou avec son accord lors de la dictature communiste ne sauraient être prescrits. Ceux-ci étaient jusqu’alors prescrits par une loi, et ce pour des raisons politiques. Les paragraphes 2 et 3 de l’art. 2 de l’acte de Dispositions transitoires posent de nouveaux délais de prescription pour les crimes concernés. On peut ainsi déduire de l’art. 2.3 que la prescription peut être remise en cause si la durée de prescription originelle a expiré après les premières élections libres du 2 mai 1990.
L’objectif de cette disposition est de toute évidence de permettre la publication de lois qui, en raison de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle jusqu’alors, seraient manifestement contraires à la Constitution. La Cour constitutionnelle protège en effet les droits issus de la sécurité sociale comme des droits relevant de la propriété et ne tolère absolument pas une dépréciation des droits acquis. Quant à la levée de la prescription pour des crimes politiques non poursuivis, la Cour constitutionnelle a également développé une vaste jurisprudence au début des années 1990 et a déclaré la prolongation de la durée de prescription comme étant inconstitutionnelle. Selon cette jurisprudence, seuls les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité peuvent être poursuivis indépendamment des règles de la prescription nationale.
Il est évidemment possible que le législateur change le texte de la LF en réaction aux décisions de la Cour constitutionnelle. De surcroît, les résultats de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle hongroise dans les domaines concernés ne sont pas les seules solutions possibles, si l’on compare par exemple à la pratique du Tribunal constitutionnel fédéral allemand (Bundesverfassungsgericht). De plus, on peut difficilement dire comment la Cour européenne des droits de l’homme réagirait aux mesures qui seraient promulguées d’après les articles 1 et 2 de l’acte de Dispositions transitoires. En tout cas, cette cour semble ne rien avoir à critiquer à la prolongation de la durée de prescription pour les crimes commis à l’époque communiste. La question de savoir jusqu’à quel point cette sorte de tardif travail de mémoire – et les restrictions aux droits fondamentaux qu’il entraîne plus de 20 ans après le changement de régime – est compatible avec l’idéal de l’État de droit est difficile, et son traitement nous entraînerait hors du cadre de cet article.
D’un point de vue juridique, les paragraphes 3 et 4 de l’art. 11 de l’acte de Dispositions transitoires apparaissent en tout cas problématiques. Dans le but de satisfaire au précepte de délai raisonnable (art. 28.1 de la LF), le chef de l’administration judiciaire obtient le droit de choisir le tribunal pour tout procès. Compte tenu des structures internes au système judiciaire hongrois, cela peut mener dans certains cas à ce qu’il puisse choisir indirectement le juge pour un procès donné. Un droit semblable est donné au procureur général dans les affaires pénales. Des dispositions similaires dans le code de procédure pénale ont été cassées par la Cour constitutionnelle quelques jours avant l’adoption de l’acte de Dispositions transitoires le 19 décembre 2011. La Cour constitutionnelle indiquait en effet que ces dispositions contrevenaient à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Constitution (encore en vigueur à l’époque). Pour toute réponse, le législateur réintroduit les dispositions visées avec une légère modification juste avant l’adoption de l’acte de Dispositions transitoires.
La question de savoir si l’acte de Dispositions transitoires est réellement au même niveau dans la hiérarchie des normes que la LF, et de ce fait ne peut pas être contrôlé par la Cour constitutionnelle, est floue. En faveur d’un même niveau, la procédure par laquelle l’acte de Dispositions transitoires a été adopté joue en sa faveur. A l’inverse, le fait qu’il s’agit d’un document séparé et que la LF dispose à partir du 1er janvier 2012 du plus haut rang du système juridique hongrois ne prête pas de rang constitutionnel à l’acte de Dispositions transitoires. Une telle action aurait été tout à fait possible d’après le modèle de l’art. 6 du Traité sur l’Union Européenne, qui confère à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne le rang d’acte constitutif. Il faut finalement prendre en compte le fait que la Cour constitutionnelle ne considère pas l’acte de Dispositions transitoires comme une partie de la Constitution. Malgré cela, la possibilité demeure que l’acte de Dispositions transitoires ne puisse pas être examiné par la Cour constitutionnelle.
III. Continuité et impondérabilité dans l’organisation juridique de l’État
En ce qui concerne la forme de l’État et du gouvernement, la LF n’apporte aucun changement. La Hongrie demeure un État unitaire, une République et une démocratie parlementaire. Au cœur de l’État se trouve le ministre-président élu par le Parlement (le système monocaméral demeure de même inchangé). L’art. 18.1 de la LF énumère les compétences du ministre-président en matière d’orientations politiques. Le président de la République est élu par le Parlement (art. 10 de la LF). Ses compétences restent principalement protocolaires, sauf en ce qui concerne la législation. Il possède le droit, selon l’art. 6.4 de la LF, de demander à la Cour constitutionnelle d’exercer un contrôle par voie d’action sur une loi votée par le Parlement, avant de promulguer celle-ci. En outre, il est habilité par l’art. 6.5 de la LF à renvoyer au Parlement les lois votées par celui-ci, en expliquant pourquoi il estime que le Parlement devrait reconsidérer sa position. Cela dans le cas où il ne serait pas d’accord avec la loi, dans son ensemble ou en partie, et s’il n’a pas requis un contrôle de normes par voie d’exception à la Cour constitutionnelle. De même, cela n’est pas nouveau. Malgré des objections passées, la compétence du président de la République quant à la dissolution du Parlement n’a pas été fondamentalement élargie. En vertu de l’art. 3.3 de la LF, il peut dissoudre le Parlement et provoquer de nouvelles élections dans deux cas : si l’Assemblée nationale, alors que le mandat du gouvernement touche à sa fin, ne vote pas en l’espace de 40 jours la proposition d’un nouveau ministre-président par le président de la République ; ou si l’Assemblée nationale n’a pas adopté le budget à la date du 31 mars.
Malgré cette continuité fondamentale dans l’organisation juridique de l’État, la LF introduit des possibilités de blocage qui pourraient à l’avenir considérablement gêner l’action du gouvernement (1). Qui plus est, la LF contient une restriction des compétences de la Cour constitutionnelle qui est incompatible avec l’essence même de la juridiction constitutionnelle (2).
1. Possibilités de blocage des institutions dans la Loi fondamentale
Une future majorité gouvernementale pourrait faire face à un blocage possible des institutions de deux façons : d’une part, une possibilité de blocage découle du droit d’approbation du nouveau Conseil budgétaire selon l’art. 44.3 de la LF ; d’autre part le gouvernement peut, sans majorité suffisante, être mis en difficulté par le fait que la LF modifie le statut de nombreuses lois importantes pour les tâches quotidiennes du gouvernement, les transformant en « lois cardinales » (« sarkalatos törvény » ou en français plutôt « lois organiques ») qui ne peuvent être modifiées qu’avec une majorité des deux-tiers.
En ce qui concerne le Conseil budgétaire récemment créé, l’art. 44.3 de la LF prévoit que l’adoption des lois sur le budget nécessite l’approbation préalable du Conseil budgétaire. Ce Conseil est constitué de 3 personnes dont le mandat s’étend tout au long de la législature. Les spécialistes avancent que le droit d’approbation du Conseil budgétaire pourrait mener, en cas de changement de gouvernement, à ce que le budget ne puisse pas être adopté. Le président de la République dissoudrait alors le Parlement, sur la base de l’art. 3.3 de la LF.
Le fait est que ce droit d’approbation par un organe non parlementaire remet fondamentalement en question l’autorité du Parlement en matière budgétaire. Il ne faut pas sous-estimer pour autant que, d’après le contenu de l’art. 44.3 de la LF, le Conseil budgétaire ne peut utiliser son droit d’approbation que dans l’intérêt du respect de la nouvelle « règle d’or » budgétaire inscrite dans l’art. 36.4 et 5 de la LF. Si le Conseil budgétaire abusait de cette prérogative et utilisait d’autres motifs pour refuser son droit d’approbation, le Parlement ne serait néanmoins pas empêché de voter le budget. Le litige peut alors être porté devant la Cour constitutionnelle qui tranchera dans le cadre d’un contrôle des normes. Une dissolution du Parlement n’est donc pas nécessaire. Si, malgré cela, le président de la République ne signe pas la loi sur le budget et, se référant à l’absence d’un budget valable voté par le Parlement, essaie de dissoudre l’assemblée, cette dissolution peut être considérée comme étant anticonstitutionnelle (dans ce cas, il n’y a pas de procédure de contrôle des normes, étant donné que la loi n’est pas promulguée ; mais dans le cadre d’un litige entre des organes de l’État, la Cour constitutionnelle peut être saisie).
En revanche, les dites lois cardinales sont source d’importantes préoccupations. La Constitution précédente prévoyait déjà la nécessité d’une majorité des deux tiers pour beaucoup (trop) de textes législatifs. La LF qualifie de telles lois dans l’art. T.4 comme étant des lois cardinales. Alors que le nombre de textes législatifs, dont la réglementation exige cette majorité qualifiée, n’a pas été accru par la LF (il a au contraire été réduite de 28 à 26, étant donné que de nombreuses garanties des droits fondamentaux ne doivent plus être réglées par la majorité des deux tiers), son cadre d’action s’est largement modifié. La LF règle entre autres par des lois cardinales les domaines suivants : la protection de la famille, les exigences quant à la préservation et la protection des biens nationaux et à l’exploitation de ceux-ci, le règlement des propriétés exclusives de l’État et de son activité économique exclusive, ainsi que les limitations et les conditions pour la cession de biens nationaux de signification importante d’un point de vue économique, les règles de base de l’exercice de charges publiques et du système de retraite ainsi que les règles détaillées de l’activité du Conseil budgétaire. Dans la législature actuelle, le parti au pouvoir dispose d’une majorité nécessaire au Parlement pour édicter et modifier de façon autonome ces lois cardinales qui déterminent la densité normative. Dépendant de cette densité normative, une majorité gouvernementale simple sera empêchée de déterminer sa politique économique et budgétaire sans l’accord de l’opposition. Vu les profonds clivages entre les différents courants politiques hongrois, cela signifie presque fatalement l’incapacité à gouverner pour tous les prochains gouvernements qui ne disposeraient pas d’une majorité des deux tiers au Parlement. Cela pourrait également soulever d’importantes questions selon l’art. 3 du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme.
2. La restriction du contrôle de compétence de la Cour constitutionnelle
La LF conserve la juridiction constitutionnelle mais modifie son caractère, et ce dans le sens du modèle de l’Europe occidentale. Sous la Constitution précédente, le contrôle constitutionnel avait un caractère abstrait, dans la mesure où la Cour constitutionnelle ne pouvait examiner que des dispositions juridiques, mais pas des actes d’application juridiques seuls. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle a été habilité à contrôler les dispositions juridiques dans le cadre d’une actio popularis. D’après l’art. 32/A.4 de la Constitution et l’art. 21.2 de la loi n° XXXII de 1989 sur la Cour constitutionnelle, toute personne est autorisée à requérir un contrôle ultérieur des normes. Ce droit plutôt exotique en Europe a été supprimé par la LF. En même temps, l’art. 24.2 de la LF introduit d’après le modèle allemand le recours constitutionnel, par lequel les dispositions juridiques aussi bien que les décisions judiciaires peuvent être examinés.
Ce changement dans le caractère de la juridiction constitutionnelle, déjà réclamé auparavant par la doctrine, peut être considéré comme étant positif. C’est dans ce sens que la commission de Venise a accueilli l’élargissement du recours constitutionnel aux décisions judiciaires et mettait en évidence que la suppression de l’actio popularis était compatible avec la tradition constitutionnelle européenne.
En revanche, l’organisation du contrôle ultérieur des normes est préoccupante. Avec la suppression de l‘actio popularis, un tel contrôle ne peut plus être opéré que par le gouvernement lui-même, l’Ombudsman (médiateur pour les droits fondamentaux) ou par un quart des députés. Cela semble défendable en soi. Dans la législature actuelle, toutefois, aucun parti d’opposition ne dispose d’un quart des sièges au Parlement. Pour porter une requête devant la Cour constitutionnelle, l’extrême droite et les socialistes devraient donc s’entendre. Il semble que l’admissibilité des recours a été définie en fonction de la répartition des sièges au Parlement de façon à empêcher les recours autant que faire se peut.
C’est toutefois les restrictions des compétences de la Cour constitutionnelle qui soulèvent le plus d’interrogations, restrictions qui furent introduites dès novembre 2010 dans l’art. 32/A.2 de la Constitution précédente, et désormais reprises dans l’art. 37.4 de la LF. Il en ressort que la Cour constitutionnelle, d’après l’art. 24.2 lettres b à e de la LF, ne peut examiner la conformité de certaines lois à la Constitution – et en cas d’incompatibilité, les déclarer inconstitutionnelles – qu’exclusivement en ce qui concerne le droit à la vie et à la dignité humaine, le droit à la protection des données personnelles, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et d’autres droits attachés à la citoyenneté hongroise, et ce tant que l’endettement public dépasse la moitié du P.I.B. Les lois concernées sont celles sur le budget, sur la mise en œuvre du budget, sur les impôts, taxes, cotisations et droits de douane ainsi que sur la conformité des impôts locaux avec la LF.
Il est certain que cette réglementation ne concerne qu’une petite part des possibilités d’examen. De plus, elle n’établit aucun retrait définitif des compétences de la Cour constitutionnelle, étant donné que certains droits fondamentaux peuvent toujours être invoqués, en particulier le droit à la dignité humaine qui, d’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, est conçu comme un droit particulièrement important. A partir de cela, la Cour constitutionnelle pouvait dans sa décision 37/2011 (V.10) AB, malgré l’art. 32/A de la Constitution, utiliser la dignité humaine pour contrôler une législation fiscale confiscatoire rétroactive. Et pourtant il est clair que des législations fiscales abusives peuvent intervenir dans l’exercice de presque tous les droits fondamentaux. Qui plus est, la dignité humaine n’établit qu’un standard minimum et ne peut pas complètement empêcher des atteintes aux droits fondamentaux. Il en ressort que l’art. 37.4 de la LF crée une lacune peu présentable dans la juridiction constitutionnelle, qui a également été condamné par la Commission de Venise. L’énoncé politico-constitutionnel qui se cache derrière l’art. 37.4 de la LF est tout aussi grave. Cette disposition de la LF exprime qu’une atteinte à la Constitution est possible et impunie, si l’efficacité l’exige. Le constituant ne se rend donc pas compte que l’État de droit n’empêche pas une économie politique couronnée de succès, mais qu’elle forme la base d’une vie d’entreprise basée sur la confiance et un climat d’investissement favorable.
3. Une continuité personnelle et sélective dans les institutions indépendantes
Selon l’art. 8 de l’acte de Dispositions transitoires, tout représentant de l’État choisi conformément à la Constitution reste en place. Les députés, les maires, le président de la République, le gouvernement etc. restent donc à leur poste. Il en va autrement pour les Commissaires chargés de la protection des données et pour le président de la juridiction suprême (art. 11 et 18 de l’acte de Dispositions transitoires). Le poste de Commissaire chargé de la protection des données est supprimé ; à sa place, une autre autorité pour la protection des données est créée. Cela soulève également des questions quant au droit européen en raison de la fin prématurée du mandat du Commissaire à la protection des données. Le fait que la majorité gouvernementale peut rappeler le président de la juridiction suprême avant la fin de son mandat (pour cause du changement de nom de la juridiction suprême en « Kúria ») est encore plus grave. Une telle mesure est acceptable uniquement après la fin d’une dictature ou en cas d’infraction aux lois par le juge, mais aucun de ces cas ne s’appliquait ici. Cette disposition apparaît encore plus problématique lorsqu’elle est éclairée par le fait que les deux fonctionnaires révoqués l’ont été après avoir été attaqués dans les médias par des représentants du gouvernement.
IV. La durée de vie prévue de la nouvelle Loi fondamentale et les tâches des juristes hongrois
Une Constitution fonctionnelle nécessite de la stabilité. Celle-ci dépend, d’après des études empiriques, de trois facteurs : la flexibilité, le caractère intégratif et le niveau de détail de la Constitution. La nouvelle LF est suffisamment flexible (et même trop souple), puisque selon l’art. S.2 et comme la Constitution précédente, elle peut être modifiée avec une majorité des deux tiers au Parlement. Le texte de la LF est également suffisamment détaillé. Mais on peut se demander si elle a un caractère intégratif.
La façon dont elle a été élaborée et adoptée parle contre elle. Certes, un projet avait été réalisé et publié à l’automne 2010 par une commission spéciale du Parlement ; mais ce document fut toutefois qualifié de « matériel auxiliaire ». La LF fut peu après, et en très peu de temps, élaborée et adoptée: le premier projet de texte fut présenté au Parlement le 14 mars 2011, et à peine un mois plus tard, le 18 avril 2011, le Parlement adoptait la LF. En conséquence, l’opposition de gauche refusa de participer au processus complet et au vote, tandis que le parti d’extrême-droite votait contre la LF. Ainsi, la LF fut votée uniquement par le parti de gouvernement.
Le fort caractère idéologique de la LF ne parle pas contre son caractère intégratif. Le préambule aux valeurs conservatrices, la rhétorique presque religieuse (désignation du préambule comme une profession de foi nationale, indication quant à la responsabilité devant Dieu dans les dispositions finales de la LF) et l’agencement de droits fondamentaux individuels (restriction de la liberté du mariage entre un homme et une femme) empêchent bien que la LF soit généralement reconnue.
En fin de compte, les possibilités de blocage incorporées et la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle sont un argument de poids contre son acceptation par l’opposition et ses électeurs. La LF n’est donc pas seulement l’expression d’une idéologie inacceptable, mais également l’instrument du maintien au pouvoir du parti Fidesz. En conséquence, d’aucuns plaident en faveur d’une révision constitutionnelle qui change fondamentalement la LF. Même des personnalités mesurées appellent de leurs vœux une modification prochaine de la LF, qui garantit à une simple majorité gouvernementale la capacité de gouverner.
Ces facteurs font escompter une modification rapide et déterminante de la LF, si ce n’est une nouvelle Constitution. Sinon, il faudra attendre que l’opposition libérale de gauche emporte une majorité des deux tiers au Parlement. Si un gouvernement est élu sans majorité suffisante pour modifier la Constitution, alors la possibilité d’une crise constitutionnelle demeurerait : les partis de l’opposition libérale de gauche pourraient être tentés de faire disparaître de la LF cette idéologie qui leur est étrangère et les possibilités de blocage des institutions en passant par un référendum, de façon à contourner la procédure prévue de modification de la Constitution. Si l’actuel parti au gouvernement devait remporter les prochaines élections sans majorité des deux tiers, il serait alors contraint d’éliminer les possibilités de blocage qu’il avait lui-même instituées, ce qui ne serait plus possible sans le concours de l’opposition. Paradoxalement, on ne peut donc attendre une relative stabilité de cette LF que tant que le gouvernement actuel dispose d’une majorité des deux tiers au Parlement.
Une question demeure : quelle peut être la tâche de la doctrine hongroise dans ce contexte ? Elle ne peut malheureusement pas réellement influencer la codification (malgré les conférences rapidement organisées et les nombreux rapports publiés, qui ont été envoyés à des hommes politiques ou développés lors de conversations personnelles). Dans les faits, la nouvelle LF a été adoptée malgré une protestation publique et presque unanime de l’ensemble de la doctrine constitutionnelle hongroise. La doctrine ne peut désormais qu’essayer d'extraire le meilleur du texte au moyens de l’interprétation et de l'analyse juridique. Ce ne sera pas parfait, mais de nombreux problèmes peuvent être évites grâce au raffinement juridique – si la Cour constitutionnelle accepte cette tâche corrective. La Constitution n’est pas, comme chacun sait, seulement un texte juridique, mais surtout ce que la Cour constitutionnelle considère comme étant la Constitution (‘the Constitution is what the judges say it is’ Charles Evans Hughes, Speech at Elmira, 3. May 1907). La doctrine hongroise va certainement essayer d’amener les tribunaux à exprimer la vaste tradition constitutionnelle européenne (malgré des textes juridiques parfois problématiques). La façon dont la Cour constitutionnelle hongroise se comportera se verra dans les années à venir.
András Jakab est Schumpeter Fellow au Max-Planck-Institut für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht (Heidelberg, Allemagne).
Pál Sonnevend est Maître de conférences (egyetemi docens) à l’Université Eötvös Lóránd de Budapest.