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Le Fédéraliste se présente comme un recueil de quatre-vingt cinq articles de journaux rédigés par Alexander Hamilton, James Madison, « avec la collaboration de [John] Jay ». Ces articles sont parus, sous le pseudonyme de Publius, dans la presse new-yorkaise pour convaincre des bienfaits de la ratification du projet constitutionnel élaboré par la Convention de Philadelphie. Comme le constate Charles Kesler, l’importance actuelle de l’ouvrage est telle outre-Atlantique qu’il est assez courant de le confondre avec le texte littéral de la Constitution. Force est, en tout cas, de constater qu’il est considéré aux États-Unis comme une source déterminante d’interprétation de la Constitution de 1787, tant d’ailleurs sur le plan doctrinal que sur le plan jurisprudentiel. Cette consécration détonne au regard de la place résiduelle qui lui est accordée en France. Dans cette perspective, cette nouvelle traduction de trois de ses articles principaux se veut une tentative de réhabilitation de cet ouvrage pour le public français.

Une nouvelle traduction de certains articles du Fédéraliste s’impose-t-elle puisque nous bénéficions de celle du professeur de droit Gaston Jèze? Il faut convenir que celle-ci n’est pas entièrement satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, si cette traduction reste d’une facture tout à  fait acceptable dans son ensemble, elle est parfois calamiteuse en raison de coquilles (par exemple dans l’importante 51e livraison, le terme « abuses » devient « élus » en français), voire de choix que l’on peut légitimement considérer comme arbitraires (par exemple dans la 2e livraison, le vocable « natural rights » est traduit par « indépendance », ou encore, dans la 10e livraison, le vocable « common good » est traduit par « prospérité générale »).

Ensuite, cette traduction est fondée sur un texte qui ne fait plus autorité aujourd’hui. En 1792, la première traduction française de ces 85 articles de journaux, vraisemblablement réalisée par Trudaine de la Sablière, a été réalisée à  partir du texte de l’édition McLean de 1788, première édition en deux tomes du Fédéraliste aux États-Unis. La découpe même de cette première édition parue en dehors des États-Unis, et surtout la première à  présenter des noms d’auteurs, reprend précisément celle de l’édition McLean puisque le premier tome couvre les articles 1 à  36, tandis que le second reprend les articles 37 à  85. De même, dans l’avertissement liminaire de l’édition française, on trouve la formule suivante qui est une reprise assez libre de la préface originale de Hamilton : « Peut-être lui trouvera-t-on des défauts d’ordre & de méthode, des longueurs qui tiennent à  la première forme ; je n’ai pas cru pouvoir corriger ces défauts que le lecteur pardonnera, j’espère, en faveur de quelques vérités utiles. » En 1902, Gaston Jèze publie donc une nouvelle traduction de l’ouvrage à  partir du texte établi par Henri Cabot Lodge pour son édition de 1888, réimprimée en 1900 et qui faisait autorité au début du XXe siècle. L’édition Cooke, à  partir de laquelle nous avons retraduit les trois articles mentionnés, constitue l’édition scientifique définitive du Fédéraliste. Outre sa plus grande pertinence sur l’attribution des différents articles, cette édition intègre tous les changements que Hamilton et Madison ont pu apporter ou autoriser par rapport à  la version initiale des textes parus dans les journaux. Cette édition est marquée par des différences pas toujours insignifiantes dans les termes retenus, dans la présentation formelle, et d’une modification, sans grande portée, sur le dernier paragraphe de la 36e livraison qui, à  l’origine, devait clore le premier volume de la première édition. En tout état de cause, il n’y a donc que deux versions disponibles en français du Fédéraliste : celle attribuée à  Trudaine de la Sablière qui est désormais quasiment introuvable, et celle de Gaston Jèze qui mérite d’être largement dépoussiérée.

Enfin, et de façon plus fondamentale, les difficultés de traduction sont souvent de nature à  affecter lourdement l’interprétation de tout ouvrage en général et du Fédéraliste en particulier. Toute traduction est de fait une nouvelle interprétation et est, à  tort ou à  raison, légitime en elle-même.

Ainsi, nous avons retenu trois articles du Fédéraliste car ils semblent, de façon quelque peu réductrice et donc trompeuse, contenir l’essentiel de l’apport de l’ouvrage sur la notion de constitution. D’un côté, les articles 10 et 51 de la main de Madison présentent le texte constitutionnel comme un cadre politique où vont s’affronter les organes de l’État traversés par les forces sociales et individuelles de la société. D’un autre côté, l’article 78 de la main de Hamilton présente le texte constitutionnel comme une loi fondamentale devant s’imposer, grâce aux juges, sur toutes les autres règles juridiques. Présenter ainsi, il y a priori une tension, voire une contradiction, entre la reconnaissance d’un modèle de régulation des conflits politiques fondé sur les checks and balances et un modèle de régulation fondé sur le judicial review. On peut voir dans ces deux modèles de modération du pouvoir ce que Bernard Manin a appelé le modèle de la balance et le modèle de la règle. Dans le monde des checks and balances, aucun organe ne peut prétendre incarner une quelconque volonté générale – on mesure déjà  la distance avec les révolutionnaires français et leurs successeurs –, et la modération du pouvoir politique doit découler du jeu institutionnel. Dans le monde du judicial review, la reconnaissance d’un pouvoir du dernier mot, d’un « arbitre suprême », semble bien s’opposer à  ce modèle de régulation par le mouvement. C’est suggérer, en un sens, que le contrôle de constitutionnalité des lois s’oppose au constitutionnalisme des contre-pouvoirs. Sur quel mode assurer la relation des checks and balances et le judicial review? Peut-on soutenir que les constituants américains auraient « dans une certaine mesure, choisi le droit plutôt que le politique pour fonder leur société » ou considérer que le modèle des checks and balances « présupposait de toute évidence que le juge remplisse une tâche d’arbitre »?

Afin de tenter d’esquisser une réponse à  cette série d’interrogations, nous introduirons par de courtes présentations les articles 10 et 51 qui présentent la Constitution comme un cadre politique (I), et l’article 78 qui la présente comme une loi fondamentale (II).

I. La Constitution comme cadre politique

Relativement à  L’Esprit des lois de Montesquieu, Pierre Manent a pu soutenir « que le chapitre VI du Livre XI décrivait l’anatomie ou la statique de la séparation des pouvoirs » tandis que « le chapitre XXVII du Livre XIX [livrait] sa physiologie ou sa dynamique ». De la même façon, on peut soutenir que la 10e livraison du Fédéraliste offre la dynamique de la présentation statique des pouvoirs de la 51e livraison. En effet, Madison, dans ces deux essais, va mettre en lumière l’analogie entre le jeu social des intérêts et le mécanisme politique des checks and balances. L’idée maîtresse des développements du Virginien est d’empêcher la tyrannie des gouvernants sur la société mais aussi celle de la partie majoritaire de la société sur l’autre partie, non seulement par la distribution des fonctions de l’État dans des organes « séparés et distincts », mais aussi par la multiplication naturelle et artificielle des intérêts de la société. Dégageons les deux points principaux, fondamentalement interdépendants, sur lesquels notre présentation se limitera : la doctrine des pouvoirs « séparés et distincts » (A) et celle de l’extension de la sphère républicaine (B).

A. La doctrine des pouvoirs « séparés et distincts »

On a tellement l’habitude de ramasser l’essence du régime américain sous la formule de checks and balances qu’il peut sembler incongru de constater son absence dans Le Fédéraliste. Certes, une formule similaire est introduite dans le livre 9 où Hamilton parle de « [de] l’introduction de balances et de freins législatifs (legislative ballances and checks) ». Il faut pourtant convenir qu’il s’agit d’une référence isolée et que Hamilton, en en inversant d’ailleurs les termes, ne l’applique qu’à  l’organe législatif, et aucunement à  l’ensemble du régime. Les difficultés de traduction de cette formule ne sont que le reflet de la difficulté à  déterminer pleinement ce qu’elle recouvre. Si on comprend le terme de balances comme correspondant à  celui d’équilibre, et le terme de checks comme équivalent à  celui de freins, alors on introduit inéluctablement une relation de causalité. Si on les considère comme ayant un sens quasiment identique, il devient difficile de comprendre la raison de leur différenciation. Ainsi, seule paraît pertinente une traduction des deux termes dans une relation de complémentarité : « poids et contrepoids » ou « freins et contrepoids ».

Surtout, il convient, pour bien saisir l’esprit des agencements institutionnels de la Constitution américaine, de se reporter à  la référence aux « pouvoirs séparés et distincts », omniprésente dans Le Fédéraliste. Elle se trouve notamment dans la 51e livraison, ou encore dans la 66e livraison où Hamilton explique que « le sens véritable de cette maxime a été discuté et déterminé ailleurs [les articles 47 à  52] et [qu’] il a été démontré qu’il est pleinement compatible avec un mélange partiel de ces départements pour certains objets, tout en les maintenant pour le principal, distincts et séparés ». Il faut convenir, sauf à  comprendre les termes de « séparé » et de « distinct » comme des synonymes, ce qui n’aurait guère de sens, qu’ils renvoient à  des problématiques différentes. Plus précisément, le terme de « séparation » renvoie à  la forme de la « séparation des pouvoirs », tandis que celui de « distinction » renvoie à  la substance de la « séparation des pouvoirs ».

Formellement, Publius présente le régime créé par la Convention de Philadelphie comme un régime d’indépendance stricte des organes et de spécialisation souple des fonctions. Ainsi, au plan organique, le régime américain, tel que présenté par Publius, repose sur un principe d’indépendance stricte puisqu’il n’y a ni droit de dissolution, ni responsabilité gouvernementale. Cette indépendance concerne autant la nomination que les rémunérations des membres de chaque organe. Madison, dans la 51e livraison du Fédéraliste, soutient l’absolue nécessité « que les membres de [chaque organe] aient aussi peu de pouvoirs possibles dans la désignation des membres des autres ». Il faut bien préciser que si l’indépendance entre les organes de l’État est stricte, elle est loin d’être absolue. En effet, ayant posé le principe d’une indépendance organique stricte, Madison va, dans le même mouvement, reconnaître qu’« il convient d’admettre que le principe doit subir quelques inflexions. ». La principale de ces « inflexions » est relative à  l’organe judiciaire. Les raisons tiennent essentiellement aux singularités de la fonction judiciaire (le mode de sélection doit assurer les qualités requises en termes de connaissance du droit, etc.). Autre exemple : le Congrès peut nommer le Président (par la Chambre des représentants) et le Vice-président (par le Sénat) toutes les fois qu’une majorité absolue ne se dégage pas au sein du collège électoral présidentiel. Au plan fonctionnel, Publius défend au contraire le principe d’une spécialisation souple. Si chaque organe a une fonction principale, il intervient dans des fonctions qui ne relèvent pas « en propre » de son office. Dans le droit fil des développements du Fédéraliste, le fédéraliste James Wilson défendait déjà  devant la Convention de Philadelphie la conception suivante : « La séparation des organes (departments) ne requiert pas qu’ils doivent avoir des objets séparés, mais qu’ils doivent agir séparément sur les mêmes objets. » En d’autres termes, la distribution des « objets » du pouvoir politique, c'est-à -dire des fonctions juridiques de l’État, n’implique pas une spécialisation stricte des fonctions. Cela signifie, par exemple, que le président de la République fédérale américaine, organe exécutif monocéphale, n’est pas le titulaire exclusif de la fonction exécutive.

Comme le soutient Richard Neustadt, « la Convention constitutionnelle de 1787 [aurait] créé en principe un gouvernement de ‘‘pouvoirs séparés’’. Mais elle n’a rien fait de tel. Elle a plutôt créé un gouvernement d’institutions séparées qui se partagent les pouvoirs ». Ainsi, si on décide de garder le critère exclusif de la séparation des pouvoirs pour discriminer les régimes politiques, on doit écarter toute idée de séparation stricte des pouvoirs, vulgate doublement erronée, et conclure que le modèle américain repose sur un principe d’indépendance stricte des organes – mais pas absolue – et un principe de spécialisation souple des fonctions.

Substantiellement, cette doctrine des « pouvoirs séparés et distincts » repose sur une double distinction : celle des gouvernants (titulaires des organes de l’État) et des gouvernés (du peuple) assurée par le principe représentatif, et celle entre les gouvernants eux-mêmes assurée par des techniques constitutionnelles.

Sur le chapitre de la représentation, la présentation des positions des fédéralistes et des antifédéralistes conduit à  opposer respectivement une théorie de la « représentation-filtre » à  une théorie de la « représentation-miroir ». Cette opposition, même si elle ne doit pas être durcie au-delà  d’un certain point, constitue un cadre pertinent pour comprendre ce qui se joue en 1787. La théorie de la représentation-miroir des antifédéralistes rend compte de leur volonté d’assurer l’identité sociologique entre les élus et les électeurs. C’est dire que cette théorie concerne davantage la question de la représentativité que celle de la représentation. Une telle approche conduit naturellement dans les discours antifédéralistes à  la multiplication de formules telles que : « portrait véritable du peuple », « authentique représentation », « portrait en miniature », etc. . À cette théorie du miroir représentatif répond donc celle du filtre représentatif des fédéralistes en général et de Publius en particulier. Dans son étude sur les Vices du système politique des États-Unis d’avril 1787, Madison écrivait déjà  qu’ « un desideratum auxiliaire pour l’amélioration de la forme républicaine est un procédé électif tel qu’il serait de nature à  extraire le plus certainement de la masse de la société les caractères les plus purs et les plus nobles qu’elle contient, de telle façon qu’ils pourront sentir le plus fortement à  la fois les motifs propres de poursuivre la finalité de leur désignation, et le plus capable de déterminer les moyens propres de l’atteindre ». Si l’élection est comprise comme un instrument de rationalisation en tant qu’elle permet l’épuration de l’esprit public en raison même de la distance qu’elle introduit entre l’électeur et l’élu, elle est également comprise comme un instrument de conformation à  l’ordonnancement naturel du monde : il faut que les meilleurs soient à  la tête de l’État, c'est-à -dire que chaque individu soit à  sa place. La représentation a une dimension politique et une dimension sociale. Les représentants formeront donc « un corps choisi de citoyens », selon la formule de la 10e livraison. Sans nul doute, ce terme de « choisi » est retenu par Madison pour son double sens : il implique que l’élu sera certes désigné, mais aussi qu’il le sera en tant qu’il est un citoyen distingué, en d’autres termes qu’il est différent de ceux qui vont le désigner. Publius soutient que si les représentants seront choisis parmi le peuple, ils doivent être différents de leurs électeurs. C’est, comme le souligne Bernard Manin, la reconnaissance explicite du principe de distinction au détriment d’un principe d’identité défendu par les antifédéralistes. La distinction des gouvernants par rapport aux gouvernés se double d’une distinction entre les différents titulaires des organes de l’État.

Comment faire en sorte que si tous les organes politiques sont élus et représentent le peuple, ils soient composés d’hommes ayant tout de même des intérêts différents, voire contraires? En Angleterre, les organes ont des sources de légitimité différentes qui garantissent leur vigilance face aux irréductibles empiètements. Aux États-Unis, les organes, bien que séparés, ont une même source populaire. La question décisive reste donc de savoir où les titulaires des différents organes de l’État américain trouveront les ressources morales pour s’opposer aux empiètements, alors même que le pouvoir qui empiète pourra toujours se réclamer de cette autorité.

Le cœur de la question concerne l’organe législatif. Dans Le Fédéraliste, Madison souligne ainsi « que comme l’improbabilité de toutes sinistres combinaisons sera proportionnelle à  la dissimilitude de génie des deux corps ; il sera judicieux de les distinguer l’un de l’autre par toutes les circonstances qui s’accorderont avec une véritable harmonie dans toutes les mesures adoptées et avec les principes authentiques du gouvernement républicain ». Convenons que cette formulation est extrêmement vague et ne permet pas de déterminer par elle-même ce qu’il faut précisément entendre par « dissimilitude de génie ». Pour autant, on perçoit déjà  que c’est bien le principe de distinction qui prédomine et plus précisément que le risque d’oppression est lié à  la similitude des deux chambres. Il convient donc de les différencier, autant que ces différenciations s’accordent à  la recherche d’une bonne politique et demeurent conformes aux exigences normatives de la république. Il s’agit bel et bien « de deux corps distincts », de « deux corps séparés et dissemblables », et qui sont compris comme tels. L’identité de leur source populaire ne doit donc pas conduire à  une similitude de leur composition. Prenons l’exemple du Sénat pour bien comprendre de quoi il s’agit.

Le 25 juin 1788, Hamilton, devant la Convention de ratification de New York, explique que « le parfait équilibre entre liberté et pouvoir » requiert « l’opposition et le contrôle mutuel » de deux corps distincts : « un pour la liberté et l’autre pour le pouvoir ». Dans son esprit, la Chambre des représentants incarne la liberté, alors que le Sénat incarne le pouvoir. Au-dessus, un président devra veiller au fonctionnement de l’État et à  l’équilibre du pouvoir et de la liberté. Ainsi, Hamilton soutient explicitement le principe du bicaméralisme dans une logique de différenciation sociale en soutenant qu’ « (…) il doit y avoir dans notre gouvernement deux organes distincts : l’un, qui doit être immédiatement constitué par le peuple et le représenter tout particulièrement, et posséder tous les traits populaires, et l’autre, qui sera créé d’après les principes exposés ci-dessus et aux fins susmentionnées ». Ces dernières sont la stabilité de l’État et la protection de la propriété dans la société civile. L’opposition de ces « deux corps distincts » permettra un vrai contrôle réciproque, indispensable à  une sage administration. Pour la majorité des conventionnels, le Sénat – dont le nom même ne sonne pas comme une promesse démocratique ! – doit être composé d’hommes de valeur dont une des fonctions essentielles sera donc de protéger la propriété. Cette tâche explique les différences avec la Chambre des représentants : mode électif, durée du mandat, extension de ses pouvoirs, etc. Si la Chambre des représentants ne représente pas officiellement le nombre (le peuple) et le Sénat la propriété, tout est fait pour que la composition de ces deux organes soit suffisamment différenciée pour qu’une concentration du pouvoir de ceux qui n’ont pas de propriété, au-delà  de toute séparation nominale, ne soit pas possible. Cela ne signifie pas que de bonnes mesures seront adoptées, mais que de mauvaises mesures auront peu de chance de s’imposer : le régime américain n’est pas fait pour assurer la justice, mais pour empêcher l’injustice. Chambre à  dimension aristocratique, le Sénat est la chambre de représentation des intérêts de l’Union et non de ceux des États-membres.

En effet, loin de faire du Sénat – conformément au principe de participation communément considéré par les juristes comme un principe constitutif du fédéralisme – la chambre des États, Hamilton le présente au contraire comme le lieu de transcendance des intérêts étatiques. Citons un passage de son discours du 24 juin 1788 tenu devant la Convention de ratification de New York, révélateur à  plus d’un titre de sa façon de voir : « Certains délégués, dans leurs raisonnements, ont opposé les intérêts des États à  ceux des États-Unis. Ce n’est pas une vue pertinente du sujet, car les intérêts des uns sont obligatoirement liés aux intérêts des autres. Ce que nous redoutons, c’est qu’un sinistre préjugé, ou une passion dominante prenne l’apparence d’un véritable intérêt. En effet, l’influence de l’un ou de l’autre peut être aussi puissante que la conviction la plus forte au bien public, et il nous faut donc la combattre. Les intérêts locaux d’un État devraient toujours passer après ceux de l’Union car, lorsqu’il s’agit de sacrifier l’un d’eux, l’intérêt de l’État n’est plus qu’un intérêt particulier apparent qui doit céder en vertu du principe selon lequel le bien du plus grand nombre doit l’emporter. Quand vous réunissez en assemblée divers comtés de votre législature, si chacun de ses membres ne devait être guidé que par le seul intérêt évident de son comté, toute administration deviendrait impossible. Des concessions et des sacrifices doivent être consentis continuellement par les administrations locales, dans l’intérêt de l’ensemble de la collectivité. Or, l’esprit qui animerait une simple assemblée populaire serait rarement guidé par ce principe fondamental. Il est par conséquent indispensable que le Sénat soit constitué de manière à  affranchir les sénateurs de toutes fausses conceptions à  propos de l’intérêt de leurs États particuliers, ou d’un attachement injustifié au bien apparent de ces États. » Le Sénat, composé des meilleurs hommes de la République, devra ainsi avoir pour horizon les seuls intérêts de l’Union.

Dans une note rédigée probablement en 1821, alors qu’il prépare l’édition de ses notes prises lors de la Convention de Philadelphie, Madison revient sur son discours du 7 août 1787 relatif au droit de suffrage. Le droit de suffrage doit être, selon lui, un instrument pour assurer le respect des droits de propriété et des droits des personnes. Il écrit : « Au cas où l’expérience ou l’opinion exigeraient, pour chaque organe du gouvernement, un suffrage égal et universel, tel qu’il prévaut en général aux États-Unis, une mesure favorable aux droits de la propriété foncière et de la propriété en général peut être trouvée dans l’élargissement des dimensions des circonscriptions électorales pour un des organes de la législature et une extension de la durée de son mandat. Les grandes circonspections favorisent manifestement les candidats respectables, en général attachés aux droits de la propriété, par rapport à  ceux qui se reposent sur les sollicitations personnelles qu’autorisent un théâtre plus restreint. » Il ressort que les droits de propriété seront mieux sauvegardés par la grande taille des circonscriptions électorales. L’extension territoriale de la nouvelle république nationale devient ainsi un élément déterminant dans la sélection de représentants de qualité.

B. L’extension de la république

Publius récuse la notion de démocratie pour lui préférer celle de république. Si les deux notions relèvent de la même catégorie (celle de régime populaire), « la véritable distinction entre ces gouvernements [démocratiques] et le gouvernement américain [républicain], c’est l’exclusion totale du peuple dans sa capacité collective de toute participation au dernier, et non dans l’exclusion totale des représentants du peuple de l’administration des premiers ». La représentation constitue un point majeur de différenciation entre les deux, mais ce n’est pas le seul. En effet, dans la 10e livraison du Fédéraliste, Madison précise : « Les deux grandes différences entre une démocratie et une république sont: premièrement, la délégation du gouvernement, en république, à  un petit nombre de citoyens élus par les autres, et deuxièmement, le plus grand nombre de citoyens et la plus vaste étendue de pays, sur lesquels la république peut s’étendre. » Le Virginien intègre donc ici deux éléments de distinction qui sont le principe représentatif pour le gouvernement et l’étendue de la sphère pour la société. Il se montre encore plus précis dans la 14e livraison : « La véritable distinction entre ces formes avait été traitée à  une précédente occasion [le n° 10]. Dans une démocratie, le peuple s’assemble et exerce le pouvoir lui-même, dans une république, il s’assemble et l’administre par ses représentants et ses agents. Une démocratie en conséquence sera confinée dans un petit espace. Une république peut être étendue sur un grand pays. » Loin d’être un pis-aller, la république est une forme supérieure de la politique car elle se présente comme un régime populaire représentatif et étendu.

Parmi les idées que Madison jette sur le papier pour préparer ses Essais qui paraîtront en 1792 dans la National Gazette, figure cette très intéressante formule : « La meilleure mesure pour un régime stable et libre n’est pas dans l’équilibre des pouvoirs du gouvernement, bien qu’il ne faille pas le négliger, mais dans l’équilibre des intérêts et des passions de la société elle-même, qui ne peut pas être atteint dans une petite société. » Dans son discours du 21 juillet devant la Convention de Philadelphie, Madison parlait déjà  explicitement de la nécessité d’introduire une « balance des pouvoirs et des intérêts qui puisse garantir les dispositions de papier » de la Constitution. La république modérée du Fédéraliste ne peut se faire que dans le cadre d’une république étendue. Seule l’extension de la sphère républicaine permettra cette dilution des factions par leur multiplication. De même, c’est dans le cadre d’une vaste république que chaque individu sera pris dans une multitude d’appartenances de nature à  modérer le pouvoir, comme nous allons le voir de façon un peu plus substantielle.

La fameuse théorie madisonienne des factions prend place dans la dixième livraison du Fédéraliste, mais elle n’est que l’expression finale d’idées qu’il a mûrement réfléchies. Madison se fait très pédagogue en présentant deux axes possibles « pour éviter les maux des factions » : la prévention de leurs causes et la correction de leurs effets.

La prévention des causes se décline elle-même en deux méthodes qu’il prend soin de présenter pour mieux convaincre du caractère implacable de son raisonnement. La première consiste à  priver la faction de son moteur premier, c'est-à -dire la liberté. Madison récuse radicalement cette hypothèse comme un remède (privation de la liberté politique), pire que le mal (absence d’ordre social). L’exclusion de cette solution répressive conduit ainsi inéluctablement à  la reconnaissance du jeu des partis, dans la mesure où « aucun pays libre n’a jamais été sans partis qui sont la progéniture de la liberté ». La seconde méthode revient à  tenter de réduire la diversité humaine à  l’unité. Si cette solution ne repose pas sur la négation de la liberté, elle repose sur la négation de la nature humaine elle-même, car « les causes latentes des factions gisent dans la nature humaine ». Cette localisation des factions impose nécessairement une régénération de l’homme pour celui qui entend faire taire le tumulte des factions. Or, les postulats anthropologiques hyperréalistes des fondateurs excluent une telle solution puisqu’il faut, selon le leitmotiv de cette époque, « prendre l’homme tel qu’il est ».

L’exclusion de cette solution intégrative figurait déjà  en puissance dans ce passage de la lettre du 24 octobre 1787, destinée à  Jefferson, où Madison écrit : « Dans toutes les sociétés civilisées, les distinctions sont variées et inévitables. La distinction dans la propriété résulte de la protection même qu'un Gouvernement libre accorde aux inégales facultés de l'acquérir. Il y aura des riches et des pauvres; des débiteurs et des créditeurs; un intérêt terrien, un intérêt financier, un intérêt marchand, un intérêt manufacturier. Ces classes peuvent encore se subdiviser selon les différentes productions de différentes situations et terrains, et selon différentes branches de commerce et de manufacture. » Ces distinctions d’intérêts matériels ne sont pas exclusives dans une société civilisée, car, comme l’explique plus loin Madison, « en plus de ces distinctions naturelles, des distinctions artificielles seront fondées sur des différences accidentelles dans les opinions politiques, religieuses et autres, ou sur un attachement à  la personne de différents leaders. Quelqu’erronés ou ridicules ces terrains de dissension et de faction puissent apparaître à  l'homme d’État éclairé, ou au philosophe de la bienveillance, la masse de l'humanité, qui n'est ni homme d’État ni philosophe, continuera de les voir d'un œil différent ». Ce passage est d’un grand intérêt. Le Virginien récuse radicalement l’idée d’un possible apaisement de la société par l’homogénéité de ses membres, et il dénonce aussi les limites de la philosophie anglo-écossaise qui table sur un jeu non bridé des intérêts. Publius ne croit pas à  l’harmonie naturelle des intérêts, mais il croit possible d’assurer artificiellement une moindre dysharmonie. Les luttes naissent de l’irréductible diversité des forces en présence et de leurs influences réciproques. Comme le dit Madison dans la 10e livraison, même dans la perspective d’une société fortement homogénéisée, « les distinctions les plus frivoles et les plus fantaisistes » ont été et seront de nature à  susciter les « conflits les plus violents ». De l’investigation sur la prévention des causes des factions, aboutissant soit à  la privation de liberté soit à  une impossible réduction à  l’unité de la diversité humaine, Madison en vient naturellement à  la solution corrective des effets des factions. Cette solution revient à  asseoir la balance des pouvoirs sur la dynamique des factions. Si les factions sont un mal, il soutient pourtant qu’il faut, de façon a priori paradoxale, les multiplier. En effet, cette multiplication est l’instrument de leur fragmentation et de leur dilution. Il s’agit même d’une démultiplication tant il est vrai que « moins il y a de partis et d’intérêts différents, et plus il y a de chances pour que le même parti ait la majorité (…) », et que « le degré de protection (…) dépendra du nombre (…) ». Comment dire plus explicitement que les factions doivent être acceptées, bien que toujours redoutées. Il s’agit d’une promotion du pluralisme, mais d’un pluralisme désenchanté.

Dans la 51e livraison du Fédéraliste, Madison dévoile les deux manières d’empêcher la constitution d’une majorité dirigée contre les droits de la minorité. La première est de « créer dans la communauté une volonté indépendante de la majorité, c’est-à -dire de la société elle-même », et la seconde est de « faire entrer dans la société assez de classes différentes de citoyens pour rendre très improbable, sinon impossible, une combinaison injuste de la majorité ». La première solution est impossible dans un cadre républicain puisqu’elle nécessite des institutions héréditaires que l’avènement et la reconnaissance de l’égalité condamnent. Dans une monarchie, le pouvoir est, en quelque sorte, extérieur à  la société. Cette extériorité assure et autorise un pouvoir neutre par rapport aux passions et aux intérêts qui divisent les membres de la société et les conduisent au conflit, voire à  la guerre civile. La république n’a pas de ressource pour pouvoir faire appel à  une autorité extérieure à  la société elle-même. La république, c’est en quelque sorte une société sans interlocuteur. Seule la deuxième solution reste donc, selon Madison, aux Américains : « Alors que toute l'autorité qu’elle possède sera dérivée et dépendante de la société, cette dernière elle-même sera divisée en autant de parties, d’intérêts et de classes de citoyens, que les droits des individus, ou de la minorité, seront dans une situation de moindre danger par rapport aux combinaisons intéressées de la majorité. » La solution américaine d’une république étendue et représentative doit faire en sorte qu’« une coalition de la majorité de la société toute entière ne pourra que rarement se former sur des principes autres que ceux de la justice et de l’intérêt général » et qu’ainsi on écartera les raisons d’introduire, à  terme, « dans le gouvernement une volonté indépendante de la majorité, ou, en d’autres termes, une volonté indépendante de la société elle-même ».

Publius va donc défendre la nécessité d’étendre la sphère de la république. C’est dire que la question de la taille de la république est vue comme décisive et la question de la structure fédérale de la république secondaire. Ceci peut paraître surprenant dans la mesure où le fédéralisme est désormais le plus souvent présenté comme une technique de division verticale des pouvoirs qui viendrait au support de la plus classique division horizontale des pouvoirs. Ce redoublement de la « séparation des pouvoirs », dûment consigné dans les meilleurs ouvrages, a pu s’inspirer de la lecture du Fédéraliste et singulièrement de la 51e livraison où Madison écrit : « Dans la république composée d'Amérique (compound republic of America), le pouvoir délégué par le peuple est d'abord divisé entre deux gouvernements distincts, puis la partie allouée à  chacun est subdivisée entre des départements distincts et séparés. De là  découle une double sécurité pour les droits des personnes. Les différents gouvernements se contrôlent les uns les autres, en même temps que chacun se contrôle lui-même. » Que le Virginien ait perçu l’épaisseur libérale découlant de l’existence de deux niveaux politiques, c’est l’évidence, et il ne s’agit assurément pas pour nous de le contester, mais on ne peut trouver un authentique investissement théorique pour l’idée fédérative dans le Fédéraliste. À cet égard, la théorie de la double séparation des pouvoirs ne saurait rendre le sens des développements de cet ouvrage. D’abord, on ne peut que remarquer que cette idée d’une double séparation des pouvoirs est avancée par Madison de façon étonnamment rapide. Surtout, elle se trouve en conclusion de développements consacrés à  l’extension de la sphère républicaine qui lui donnent sens. Pour Madison, comme pour tous les fédéralistes, la liberté des Américains ne découlera pas de cette seconde séparation des pouvoirs, mais de la suprématie de l’Union sur les États fédérés. En d’autres termes, leur libéralisme n’est pas lié au fédéralisme mais à  leur nationalisme. La question décisive porte bien moins sur la structure fédérale que sur l’extension de la sphère de la république, expliquant pourquoi il n’y pas de théorie fédérale dans Le Fédéraliste. La taille de la république devient donc un élément essentiel du dispositif libéral. Si les avantages attendus d’une république étendue sont multiples, ils sont essentiellement de deux ordres : la dilution des factions et l’amélioration de la qualité représentative.

Quant à  la dilution des factions, Madison, ramassant ses souvenirs de l’époque de la Convention de Philadelphie, expliquera en 1833 : « Ceux qui ont rédigé et ratifié la Constitution ont cru que le pouvoir était moins susceptible d’abus par la majorité dans des gouvernements représentatifs que dans des démocraties, où le peuple s’assemble en masse, et encore moins dans de grandes que dans de petites communautés. Ils en ont inféré qu’en divisant les pouvoirs du gouvernement et en élargissant la sphère pratique du gouvernement, des majorités injustes se formeront avec davantage de difficulté, et seront en conséquence moins à  craindre. » La multiplication des factions, rendue possible par l’extension de la sphère républicaine, doit permettre de réduire leur capacité de nuisance quand l’intérêt général est en jeu et d’empêcher une faction de pouvoir prétendre incarner à  elle seule l’intérêt général. L’extension de la sphère républicaine doit permettre de constituer l’espace adéquat au déploiement infini des passions, de la même façon que l’importance des pouvoirs doit alimenter la passion des ambitieux.

Quant à  l’amélioration de la qualité représentative, Publius table sur le fait que c’est dans les dimensions d’une république étendue que les meilleurs ne seront pas dominés dans les élections. « En effet, soutient Jay dès la 3e livraison du Fédéraliste, même si une ville, un comté, ou tout autre territoire restreint, peuvent placer des hommes dans les assemblées des États, dans les Sénats, les tribunaux, ou les départements exécutifs, toutefois, pour se voir accorder une charge relevant du gouvernement national, il faudra avoir une réputation plus grande et plus étendue pour ses talents et ses autres qualités ». Cette argumentation est récurrente chez Publius et constitue un élément décisif de toute la fin de la 10e livraison. L’élection opère à  la façon d’un tamis qui permet d’extraire de « la masse de la société les personnalités les plus pures et les plus nobles qu’elle contient » et, dans cette perspective, plus l’assiette est grande, plus les chances de dégager des hommes de valeur sont importantes. La dimension importante des circonscriptions électorales, assurée par l’extension de la république, est bien un facteur d’amélioration qualitative de la représentation. Ce lien est souligné, notamment, par James Wilson qui soutient que « l’expérience montre que plus grande est la circonscription électorale, meilleure est la représentation. » En définitive, plus l’assiette est large, plus l’ « assomption » représentative est de qualité. La distinction dans la composition du Sénat par rapport à  la Chambre des représentants trouve là  une de ces conditions de possibilité.

L’individu d’un régime libéral doit ainsi avoir une identité fragmentée en une multitude de liens d’appartenance. La maxime « diviser pour mieux régner », que Madison reconnaît être celle de la tyrannie mais aussi celle de la république, désigne la philosophie du libéralisme politique américain. En tout homme, la séparation première entre le citoyen – elle même divisée aux États-Unis par l’appartenance à  ces deux corps politiques que sont l’Union et les États membres – et l’individu, redoublée par des déchirures disons secondaires de l’identité de chacun en une multiplicité d’appartenance (religieuse, sociale, économique, etc.), devient une condition fondamentale de la liberté politique. La forme ultime de la « séparation des pouvoirs » réside dans la séparation des identités de l’individu.

II. La Constitution comme loi fondamentale

Les conventionnels américains de 1787 ont fait le choix d’un gouvernement des lois, mais il ne faut pas se méprendre sur son sens. Si ce sont bien les règles de droit, au premier rang desquelles les lois, et non les volontés des hommes qui doivent gouverner les conduites humaines, il n’en reste pas moins qu’ils ont pleinement conscience que les lois seront le fait des hommes avec toutes leurs imperfections et leurs faiblesses. Nous en trouvons une confirmation dans la 51e livraison où Madison parle d’un « pouvoir qui doit être exercé par des hommes sur des hommes ». Cette affirmation n’entend pas invalider une quelconque supériorité du gouvernement des lois, mais elle rappelle simplement que les lois sont faites par des hommes pour s’exercer sur des hommes. Cela signifie que la servitude peut tout aussi bien être assurée par la loi que par son absence. Il faut dire que les constituants américains étaient particulièrement sensibilisés à  la possibilité d’une oppression légale en raison de l’esclavage et de leur expérience des lois anglaises considérées, à  tort ou à  raison, comme liberticides. Ainsi, on chercherait en vain une vue enchantée de l’idée de constitution chez les hommes de ce Moment 87. Une Constitution est et ne peut être, en elle-même, qu’une « barrière de parchemin », selon la formule si expressive de Madison. Cela explique pourquoi, si le rationalisme français engendrera le légicentrisme, le prudentialisme américain récusera toute idée de « constitucentrisme ».

L’ordre libéral suppose bien évidemment des règles impersonnelles que seules les lois peuvent promettre. Il est également certain que les lois doivent être « le régulateur suprême » des conduites humaines, mais la liberté ne peut être assurée que dans la mesure où elle découle du jeu impersonnel des institutions. C’est donc moins une confiance absolue dans la justice de la loi, considérée comme un acte supérieur de raison, qu’une confiance, d’ailleurs toute relative, dans la neutralité institutionnelle se situant en amont de la loi. Que la loi soit autre chose que l’expression d’une volonté momentanée relève d’une exigence minimale – pour qui entend mettre en place un régime authentiquement libre –, mais cette impersonnalisation de la loi semble devoir découler essentiellement du jeu institutionnel. Quelle est alors la place du judicial review dans cette construction?

Le découplage conceptuel du pouvoir constituant et du pouvoir constitué est indéniablement présent dans les débats de 1787. Dans la 78e livraison du Fédéraliste, les développements de Hamilton se fondent implicitement sur un tel découplage. Ainsi, s’il souligne l’importance du « principe fondamental du gouvernement républicain, qui reconnaît le droit du peuple de modifier ou d’abolir la Constitution établie chaque fois qu’il la trouve incompatible avec son bonheur », il prend garde de rappeler que « jusqu’à  ce que le peuple ait, par un acte solennel et définitif, annulé ou modifié la Constitution en vigueur, elle s’impose à  lui tant collectivement qu’individuellement, et avant un tel acte, aucune présomption, ni aucune connaissance de ses sentiments, ne peut autoriser ses représentants à  s’en écarter ». De même, dans la 53e livraison est reprise par Publius « la distinction si bien comprise en Amérique entre une constitution établie par le peuple et intouchable par le gouvernement et la loi établie par le gouvernement et modifiable par lui ». Ce découplage engendre deux types de conséquences : la violation de la Constitution doit être sanctionnée et la Constitution ne peut être altérée dans sa substance que dans le respect de ses propres formes. Dans le cadre limité de cette présentation, nous nous en tiendrons seulement à  la première conséquence (le judicial review) en présentant son sens (A), puis sa portée (B).

A. Le sens du judicial review

Cette promotion hamiltonienne du contrôle de constitutionnalité doit se comprendre à  la fois comme une simple déclinaison de la logique des checks and balances et également comme l’expression des doutes du New-Yorkais sur l’efficacité de ces mécanismes.

Tout d’abord, le judicial review est présenté comme une déclinaison de la logique des checks and balances. Avant toute chose, on notera que la formule de « judicial review » n’apparaît pas dans Le Fédéraliste. Elle n’est pas si facilement traduisible en français, même si l’usage a conduit à  consacrer la locution de « contrôle de constitutionnalité ». On ne contestera pas cet usage, mais on notera qu’à  l’époque il était possible de la traduire par « révision judiciaire » dans la mesure où le judicial review s’oppose en 1787 au political review défendu à  la Convention de Philadelphie, notamment par Madison. En effet, de nombreux fédéralistes ont soutenu l’idée d’un contrôle politique des lois dans lequel le président américain et les juges de la Cour suprême seraient intervenus. Traduire la notion de judicial review littéralement par « révision judiciaire » présente deux intérêts : rappeler qu’il s’agit bien d’un pouvoir de « révision », une sorte de droit de veto définitif accordé à  l’organe judiciaire dans la perspective des checks and balances, et rappeler qu’un tel pouvoir a été considéré par de nombreux fédéralistes comme une sorte de complément du droit de veto suspensif accordé au président de la République fédérale, après l’échec de l’institution d’un conseil de révision des lois composé par l’organe exécutif et l’organe judiciaire, qui, pour Madison, avait précisément le mérite d’« écarter la question de l'annulation judiciaire des lois ».

En tout état de cause, dès la 15e livraison du Fédéraliste, Hamilton soutient que « l’idée de gouvernement implique le pouvoir de faire des lois » et qu’ « il est indispensable à  l’idée de loi qu’il y ait une sanction ». De même dans ses Vices du système politique des États-Unis, Madison note qu’« une sanction est essentielle à  l’idée de droit, comme la coercition l’est pour l’idée de pouvoir ». Si la sanction est constitutive de l’idée même de droit, la compréhension de la constitution comme une véritable loi conduit assez naturellement Hamilton, dans la 78e livraison, à  assurer une sanction en cas d’irrespect. Sans interprétation, un texte juridique n'a pas de signification. C’est le sens de cette remarque incidente de Hamilton dans la 22e livraison : « Les lois sont lettres mortes sans tribunaux pour en examiner et en déterminer le sens authentique et l’application. » Toujours dans Le Fédéraliste, Madison abonde en ce sens, en soutenant que « toutes nouvelles lois, même celles rédigées avec la plus grande habilité technique et adoptées avec la plus complète et sage délibération, sont considérées comme plus ou moins obscures et équivoques, tant que leur signification n’a pas été clarifiée et assurée par une série de discussions et de jugements particuliers ». Ces assertions s’inscrivent en tout cas tout à  la fois dans une vue hyper-matérialiste des textes juridiques – considérés comme de simples bouts de papier contenant des mots qui ne disent rien en eux-mêmes – et dans le monde plus large de la Common Law. On comprend dès lors que la signification de la Constitution sera constituée par l’interprétation. Ainsi, la nécessité d’une Cour suprême vient de la nature même du droit qui est assis sur l’opinion et non la vérité. Hamilton nous le fait comprendre en constatant que si « les opinions des hommes varient à  l’infini », les juges, également, ont des interprétations divergentes qui nécessitent « l’établissement d’une cour supérieure, chargée d’une surveillance générale, et autorisée à  fixer et à  décider, en dernier ressort, d’une règle uniforme de la justice civile ».

La complexité inhérente à  l’établissement de deux niveaux verticaux de pouvoir politique (l’Union et les États) ne fait que redoubler la nécessité d’une telle institution, mais sa justification ultime lui préexiste. C’est dire si le lien que l’on opère le plus souvent entre le montage fédératif et le contrôle de constitutionnalité, n’est pas déterminant dans Le Fédéraliste, comme l’illustre la 78e livraison où la question n’est même pas évoquée. Au contraire, cet article témoigne de l’insertion du contrôle de constitutionnalité dans le jeu des checks and balances. C’est cette insertion même, liée à  sa faiblesse institutionnelle propre, qui conduit Hamilton à  accorder à  l’organe judiciaire un pouvoir d’annulation des lois « manifestement » contraires à  la Constitution fédérale. Pour lui, ce pouvoir a pour premier avantage de protéger l’organe judiciaire et, en ce sens, s’inscrit dans la logique de l’équilibre des pouvoirs. De même que la primauté naturelle de l’organe législatif doit conduire à  son amenuisement artificiel, la faiblesse institutionnelle inhérente à  l’organe judiciaire doit conduire à  son rehaussement artificiel par l’octroi du contrôle de constitutionnalité des lois.

En accordant un tel pouvoir à  l’organe judiciaire afin d’assurer son indépendance, Hamilton va explicitement défendre le changement de statut de la Constitution en déclarant, toujours dans cet article 78, qu’ « une constitution est, en fait, et doit être regardée par les juges comme une loi fondamentale ». Cette reconnaissance d’une nature juridique de la Constitution entraîne logiquement – rappelons ici que Hamilton est avocat – la compétence des juges pour en déterminer le sens et, en cas de « contradiction absolue », la reconnaissance d’un privilège à  la Constitution sur la loi. Il relève en effet traditionnellement de l’office du juge de décider entre deux lois contradictoires. Hamilton semble chercher à  intégrer le contrôle de constitutionnalité comme une simple variante du contrôle juridictionnel afin d’émousser la radicalité de sa portée. La seule novation, nous dit-il, porte en fait sur les règles qui s’imposent pour régler les cas de contradiction entre deux lois. Si les juges considèrent qu’entre « deux lois contradictoires d’une même autorité, celle qui contenait l’expression de sa dernière volonté devait prévaloir », cette règle doit céder lorsqu’il s’agit de confronter deux lois émanant de deux autorités différentes : « Mais en ce qui concerne les actes contradictoires d'une autorité supérieure et d’une autorité subordonnée, d'un pouvoir originaire et d’un pouvoir dérivé, la nature des choses et la raison prescrivent de retenir une règle contraire. Elles nous enseignent que l'acte antérieur d'une autorité supérieure doit prévaloir sur l'acte subséquent d'une autorité inférieure et subordonnée, et que, par conséquent, chaque fois qu'une loi particulière contredit la Constitution, il sera du devoir des tribunaux judiciaires de faire prévaloir la Constitution et de laisser de côté la loi antérieure. » Hamilton déroule un argumentaire particulièrement brillant et va même jusqu’à  évoquer ce qui deviendra le cœur de la thématique du gouvernement des juges. Ainsi, écrit-il, le contrôle de constitutionnalité « ne suppose nullement une supériorité du pouvoir judiciaire sur le pouvoir législatif. [Il] suppose seulement que le pouvoir du peuple est supérieur aux deux, et que lorsque la volonté du pouvoir législatif, exprimée dans ses lois, est en opposition avec celle du peuple, exprimée dans la Constitution, les juges doivent être régis par la dernière plutôt que par la première. Ils doivent prendre leurs décisions par rapport aux lois fondamentales, plutôt que par rapport à  celles qui ne le sont pas ». Alors que Hamilton soutient que le contrôle de constitutionnalité des lois n’entraîne en rien la suprématie de l’organe judiciaire, Madison estimera bien vite que ce pouvoir rend « le département judiciaire supérieur en fait au département législatif, ce qui n’a jamais été voulu et ne peut jamais être convenable ». Madison rejoindra la position de Jefferson pour qui la Cour suprême, organe de l’Union, ne peut pas être considérée comme le « gardien de la Constitution ». L’opposition entre Madison et Hamilton semble se situer, en définitive, sur la nécessité d’un pouvoir du dernier mot.

Quant aux doutes de Hamilton relatifs à  l’efficacité des checks and balances pour assurer l’établissement de ce moins mauvais gouvernement, ils ont manifestement joué un rôle important dans sa promotion du contrôle de constitutionnalité. Pour lui, une certaine neutralité institutionnelle ne peut être assurée in fine que par un organe déconnecté du peuple, en l’occurrence l’organe judiciaire. Ainsi, Hamilton semble penser que l’organe judiciaire sera en mesure de jouer un rôle d’équilibre entre le grand nombre et le petit nombre. Il voit dans l’organe judiciaire le seul organe qui est déconnecté du corps électoral, assurant ainsi son indépendance, non seulement par rapport aux autres organes, mais par rapport au peuple et donc aux factions. L’écho inverse se retrouve dans cette formule de Jefferson : « Vous semblez considérer les juges comme les arbitres ultimes de toutes les questions constitutionnelles. C’est en vérité une bien dangereuse doctrine qui nous soumettrait au despotisme d’une oligarchie. Nos juges sont aussi honnêtes que les autres hommes, mais pas davantage. Ils ont en commun avec les autres les mêmes passions partisanes, le même désir de puissance et le souci des privilèges de corps. Leur maxime est boni judicis est ampliare jurisdictionem [un bon juge élargit sa compétence], et leur pouvoir est d’autant plus dangereux qu’ils détiennent leur fonction à  vie et qu’ils ne sont pas, comme les autres fonctionnaires, responsables devant un corps électoral. »

Pour Hamilton, les juges incarnent en quelque sorte la figure de la neutralité, car ils ne parlent que le langage du droit et non celui de la politique – langage qui est celui des factions. Cette idée d’indépendance se retrouve dans la 35e livraison, quand il défend l’idée que les professions savantes, ne formant pas un intérêt à  part dans la société, seront l’objet de la confiance des autres parties de la communauté : « L’homme qui exerce une profession savante, neutre dans toutes les rivalités qui existent entre les différentes branches d’industrie, ne sera-t-il pas à  même de jouer entre eux le rôle d’arbitre impartial, prêt à  les promouvoir tour à  tour, suivant ce qui lui apparaîtra utile pour l’intérêt général de la société? » Les juges ne peuvent dans l’esprit de Hamilton que relever de cette catégorie des professions savantes comme l’attestent les longs passages de la 78e livraison sur le savoir juridique des juges. Il en brosse un portrait qui dévoile en creux ce qu’il en attend : ils seront des hommes choisis pour leur profonde connaissance des lois, connaissance acquise par de longues et pénibles études. Confier dès lors le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois à  ce corps indépendant et distinct de l’organe législatif doit permettre de le protéger du « souffle pestilentiel des factions ». La condition de possibilité de cette neutralité sera assurée par le maintien des juges en fonction tant qu’ils se comportent bien, mais aussi par leurs pouvoirs dont, notamment, le pouvoir d’invalidation des lois « manifestement » inconstitutionnelles ou injustes. Comme le remarque David Epstein, Hamilton étend également le rôle de l’organe judiciaire non seulement aux lois inconstitutionnelles, mais aussi aux lois injustes ou partiales. Si l’inexorable quête de neutralité s’épuise chez Hamilton dans l’avènement d’un organe judiciaire capable de surplomber les autres organes politiques, Madison demeure fidèle à  une résolution proprement politique des conflits. Cette différence illustre à  la fois la richesse de ce Moment 87, mais aussi les tensions qui traversent Le Fédéraliste.

La reconnaissance du contrôle judiciaire de constitutionnalité des lois implique bien le franchissement d’une étape décisive : celle de la juridicisation de la notion de constitution. Ce glissement dans la nature de la constitution emporte alors le principe selon lequel la validité de la loi est conditionnée par sa conformité au texte constitutionnel. La question centrale est de savoir si Le Fédéraliste illustre véritablement l’abandon d’une conception politique de la constitution au profit d’une conception juridique.

B. La portée du judicial review

Hamilton fait découler le contrôle de constitutionnalité de ce qu’il appelle la « théorie générale des Constitutions limitées » et non du projet constitutionnel lui-même : « Il n’est pas une syllabe, dans le projet soumis à  notre examen, qui autorise directement les Cours nationales à  interpréter les lois suivant l’esprit de la Constitution (…) Je reconnais cependant que la Constitution doit servir de fondement à  l’interprétation des lois, et que, toutes les fois qu’il y a une opposition évidente, les lois doivent céder devant la Constitution. Mais cette doctrine ne peut se déduire d’aucune circonstance particulière au plan de la Convention ; elle découle de la théorie générale des Constitutions limitées (…) » Ainsi, il n’invoque pas, dans cet article 78, l’article VI de la Constitution qui dispose qu’elle est « la loi suprême du pays » (supreme law of the land), alors même que cette disposition sera centrale dans le fameux arrêt de la Cour suprême Marbury v. Madison de 1803. Comment le comprendre ?

On est tenté de suggérer une hypothèse. Ces articles sur le pouvoir judiciaire n’avaient pas pour finalité d’emporter la conviction du corps électoral puisqu’il s’était déjà  prononcé. Il n’est pas invraisemblable de penser que Hamilton ait voulu glisser ses propres conceptions sur la nécessité d’un contrôle judiciaire de constitutionnalité des lois dans le corps du Fédéraliste afin de prendre date. En témoigne ce segment de la 83e livraison qui prend tout son sens dans notre hypothèse : « La vérité, c’est que c’est du génie général d’un Gouvernement que l’on doit surtout attendre des effets durables. Des dispositions particulières – quoiqu’elles ne soient pas toujours inutiles – ont bien moins de vertu et d’efficacité qu’on ne le croit généralement ; leur absence ne sera jamais, pour des hommes réfléchis, une objection décisive contre un plan qui offre les principaux traits d’un bon gouvernement. » Dans les articles consacrés au pouvoir judiciaire, le New-Yorkais présente, en définitive, la Constitution qu’il veut voir s’imposer dans les futures années. En d’autres termes, ces articles s’apparentent davantage à  un manuel d’instruction pour le fonctionnement de la Constitution qu’à  un commentaire au sens strict.

En tout état de cause, Hamilton va donc lier ce qu’il appelle la théorie de la « Constitution limitée » à  la possibilité même d’un contrôle judiciaire de la loi, de façon a priori paradoxale, puisque cette possibilité emporte la limitation, non de la Constitution, mais bien de la loi. En fait, il serait plus juste de parler d’une théorie de la « loi limitée ». Le contrôle de constitutionnalité présente pour Hamilton deux avantages, plus ou moins explicités. Tout d’abord, il doit permettre d’assurer la primauté de la Constitution de l’Union sur les lois des États. Ici, le judicial review se présente comme une déclinaison du nationalisme hamiltonien. Ensuite, il doit permettre de protéger les droits de propriété qui sont toujours en danger dans un régime populaire. Hamilton y voit un moyen de censurer une mesure législative injuste imposée par la majorité des plus pauvres. Ici, le judicial review se présente comme une déclinaison des préventions hamiltoniennes envers la démocratie considérée comme le régime où dominent ceux qui n’ont pas de propriété. Ce pouvoir qu’est le contrôle de constitutionnalité de la loi est clairement compris avant tout comme une « barrière contre les empiètements et les oppressions du Congrès » et en fait surtout contre celles de la Chambre des représentants. Chez le New-Yorkais, le contrôle de constitutionnalité n'est pas un instrument démocratique, même s’il le fonde in fine sur la souveraineté populaire, et les juges sont vus comme des aristocrates du droit.

Demeure inextinguible la tension entre ces deux modèles de régulation des conflits politiques – celui de la balance et celui de la loi –, même si elle peut être relativisée. Toute la pensée de Hamilton est tendue vers la question de l’autorité ultime, d’un pouvoir du dernier mot. À l’inverse, Madison note que « les différents organes étant parfaitement coordonnés par les termes de leurs délégations communes, aucun d’entre eux, c’est évident, ne peut prétendre à  un droit exclusif ou supérieur à  établir les limites entre leurs pouvoirs respectifs ». On ne peut donc pas raisonnablement suivre le jugement d’Alpheus Thomas Mason selon lequel « considérer le contrôle de constitutionnalité comme un intrus revient à  ne tenir aucun compte de la fameuse formulation du problème du gouvernement dans Le Fédéraliste n°51 et de méconnaître le rôle unique des Cours dans sa solution ». En effet, il demeure une tension, selon nous, entre les deux modes de régulation défendues dans l’ouvrage qui n’est que l’illustration des différentes orientations de Madison et de Hamilton. Finissons par quelques mots sur la notion de constitution telle qu’elle se présente dans l’ouvrage.

Si l'ambition du programme constitutionaliste contemporain tend inéluctablement vers une réduction de la notion de constitution à  sa dimension exclusivement juridique, Publius nous invite à  penser beaucoup plus largement. On ne peut contester la dimension normative qui travaille Le Fédéraliste, mais on doit conclure que la Constitution américaine est comprise par ses rédacteurs essentiellement, de manière d’ailleurs encore classique, comme la forme effective de la société. En d’autres termes, la Constitution est davantage conçue comme une structure, une organisation, que comme une norme. Elle n’est pas encore cette norme révérée pour avoir confisquée la volonté aux hommes, comme Prométhée a volé le feu aux Dieux. Jean-Claude Lamberti parle même de la dernière salve de la philosophie politique classique où la Constitution « n’est pas seulement l’organisation des rapports entre les pouvoirs publics, mais l’armature véritable de la société ». À cet égard, il est tout à  fait significatif que surgisse, dans la 38e livraison du Fédéraliste, l’analogie classique entre le corps politique et le corps humain. Une société doit avoir une Constitution, c’est-à -dire une structure conforme au génie de son peuple (l’égalité de droits civils) et aux dimensions de son territoire (la grande étendue).

David Mongoin est Professeur de droit public à  l’Université Jean Monnet – Saint-Etienne.