Validité dans le système et validité du système. À quoi sert la norme fondamentale, et à quoi elle ne sert pas
Pour citer cet article : Matthias Jestaedt, « Validité dans le système et validité du système. À quoi sert la norme fondamentale, et à quoi elle ne sert pas », Droit & Philosophie, « Hors-Série », mis en ligne le 10 juillet 2019 [https://www.droitphilosophie.com/articles/validite-dans-le-systeme-et-validite-du-systeme.-a-quoi-sert-la-norme-fondamentale-et-a-quoi-elle-ne-sert-pas-1713].
L’ambiguë théorie de la norme fondamentale (Grundnorm) attire depuis toujours, chez ceux qui s’occupent de la théorie pure du droit de Kelsen, une grande attention et une critique à peine moins grande. La contribution qui suit s’efforce de démontrer que les écrits de Kelsen permettent deux lectures différentes de la Grundnorm : l’une est plutôt minimaliste (« passive »), et l’autre plutôt maximaliste (« active »). Le projet kelsénien d’un positivisme normativiste ne nécessite et ne justifie que la variante minimaliste, laquelle, au contraire de la variante maximaliste, peut en outre être défendue contre les objections habituelles.
I. La norme fondamentale et les philosophes du droit
A. La norme fondamentale au centre de l’intérêt des philosophes
La théorie de la norme fondamentale développée par Kelsen est au centre de l’attention des philosophes du droit, et ce de deux façons. D’abord, il apparaît que les « vrais » philosophes du droit, c’est-à-dire typiquement ceux qui ont suivi des études de philosophie et consacrent une partie importante de leurs recherches à de véritables questions de philosophie (ou de philosophie du droit), s’occupent bien plus souvent et plus intensivement de la Grundnorm de Kelsen que les « simples » théoriciens du droit, qui bien souvent ne disposent que d’une formation autodidacte en philosophie, et pratiquent la théorie du droit essentiellement pour l’analyse du droit positif, pour proposer à la doctrine, voire aux praticiens un savoir d’orientation sur les caractéristiques propres du droit positif. La norme fondamentale exerce sur les premiers une force d’attraction incomparablement plus grande que sur les seconds. Ensuite, il est évident que lorsque les philosophes s’intéressent à la théorie pure du droit, c’est la Grundnorm qui attire le plus leur attention, aux côtés des deux thèses de séparation (la séparation du droit et de la morale d’une part, la séparation du Sein et du Sollen d’autre part). Autrement dit, du point de vue de la philosophie du droit, la norme fondamentale compte parmi les trois thèmes principaux et les trois thèses principales de la théorie pure du droit.
Cela est d’autant plus remarquable que Hans Kelsen semble plutôt devoir être rangé parmi les théoriciens du droit, au sens qui vient d’être précisé. De par sa socialisation académique et professionnelle, Kelsen avait, tant du point de vue scientifique que pratique, une activité et une formation de juriste. En philosophie, il était largement autodidacte. À quelques exceptions près, lorsqu’il utilisait des catégories, des théorèmes et des méthodes de la philosophie, il ne les employait pas dans leur contexte disciplinaire d’origine et au sein d’une discussion avec des philosophes, mais plutôt comme un arsenal argumentatif supplémentaire pour son entreprise avant tout théorique, dirigée vers l’explication du droit positif, au sein d’une discussion avec des juristes. On verra plus loin que le rôle joué dans ce cadre par la norme fondamentale n’est certes pas négligeable, mais qu’il n’est pas primordial.
B. Ce que les philosophes du droit attendent, et ce que Kelsen a à offrir
Il est aisé d’expliquer pourquoi le concept de la Grundnorm aimante l’attention des philosophes qui s’intéressent aux questions juridiques. Il soulève en effet la question d’airain, celle de l’ultime fondation du droit, celle de la validité du droit. Le fondement de la validité sert de preuve caractéristique de l’existence du droit, et peut rien que pour cela s’assurer de l’intérêt de tous les philosophes du droit. Kelsen semble ici se ranger au sein de la masse de ceux qui ont contribué à montrer la voie vers l’essence du droit, vers son fondement ultime. Or, la question de la fondation ultime appelle la compétence spécifique et l’autorité de la philosophie du droit.
Néanmoins, ce que Kelsen, avec la théorie de la Grundnorm, fournit comme réponse aux problèmes de la fondation et de la régression de la validité fait certainement figure d’affront, de provocation pour celui qui pose des questions philosophiques. Il demandait du pain, Kelsen ne lui donne que des pierres. À la place d’une fondation, Kelsen se retire sur une supposition (qu’elle soit de nature hypothétique ou fictive). À la place d’une fondation ultime, celui qui cherchait une réponse se voit confronté au refus d’une fondation ultime. À la place d’une validité catégorique, une validité seulement hypothétique. La solution de Kelsen à ces problèmes est une norme fondamentale qui n’est pas une véritable norme mais une norme simplement pensée, qui doit être supposée si (et seulement si !) l’on veut parler d’un ordre juridique à propos de phrases qui se réfèrent les unes aux autres. Voilà qui déçoit l’attente de celui qui attendait une réponse substantielle et catégorique.
C. La norme fondamentale : talon d’Achille philosophique de la théorie pure du droit ?
Selon toute vraisemblance, le concept de Grundnorm prépare au philosophe du droit plus de chagrin que de joie. Pour commencer, il n’existe pas « une » conception de la norme fondamentale, au singulier. Au cours de presqu’un demi-siècle, Kelsen accorde à la Grundnorm au moins trois caractérisations incompatibles, qui ne sont pas toujours distinguées les unes des autres. Dans les années 1920, il la tient encore pour une « supposition hypothétique ». Dans la première édition de la Théorie pure du droit dans les années 1930 et dans la seconde édition des années 1960, la Grundnorm se présente comme une « condition logique-transcendantale ». Et finalement, dans la Théorie générale des normes publiée de manière posthume, elle mue pour devenir une « véritable […] fiction au sens de la philosophie du comme-si de Vaihinger ». Comme Kelsen lui-même ne réfléchit qu’insuffisamment à cette transformation, ou du moins l’explique insuffisamment, de multiples réflexions et spéculations circulent, d’une part sur chacune de ces variantes, d’autre part sur les motifs de ces changements de concept. Les études relatives aux transformations de la Grundnorm ont essentiellement pour objet le « jeu » de classification apprécié des philosophes : on se demande si, et le cas échéant dans quelle mesure et à quelle période, Kelsen était kantien ou au moins néokantien, et alors néokantien de l’école de Heidelberg ou de Marburg. Avec ses références à Kant, Hermann Cohen et Hans Vaihinger, Kelsen entre dans l’arène de la philosophie, et est traité en conséquence. Il semblerait presque que lorsque Kelsen se risque sur le terrain des philosophes professionnels, son instinct et son jugement ne le guident pas de manière sûre. En effet, tant son emprunt à la philosophie transcendantale kantienne que sa caractérisation de la norme fondamentale comme une « véritable fiction » au sens de la philosophie du comme-si de Vaihinger peuvent être dénoncés comme mal venus, et ce avec de bonnes raisons philosophiques. Bref : le fait que Kelsen modifie plusieurs fois la conception de la norme fondamentale pourrait être interprété comme le signe d’un certain caractère aléatoire, d’un embarras, d’une incertitude et d’un manque de clarté. De surcroît, puisque les ponts philosophiques (Kant, Cohen, Vaihinger) sont fragiles, l’impression apparaît que le concept ne peut tout simplement pas être fondé philosophiquement d’une manière solide. Ce qui était pensé comme la spectaculaire clé de voûte du bâtiment normativiste-positiviste de la théorie pure du droit se révèle, à y regarder de plus près, être le talon d’Achille philosophique du concept kelsénien de la validité du droit.
Que peut déduire le philosophe de tout cela ? Avant de donner une réponse peut-être hâtive, je crois qu’il faut faire un pas en arrière, et se souvenir de la célèbre formule d’Abraham Maslow : « I suppose it is tempting, if the only tool you have is a hammer, to treat everything as if it were a nail ». Il convient de se demander si le « marteau » philosophique est ici l’instrument le plus adéquat et le plus adapté, si la perception de la théorie de la Grundnorm comme un « clou » philosophique auquel le « marteau » permet le mieux de venir à bout, est la plus évidente et la plus riche. On peut aussi poser la question autrement : apprécie-t-on à sa juste valeur la théorie kelsénienne de la norme fondamentale avec cette contextualisation philosophique ? Les lignes qui suivent veulent semer le doute.
II. La norme fondamentale : « cœur et âme » de la théorie pure du droit ?
Lorsque l’on s’interroge sur la nature et la valeur de la théorie de la norme fondamentale, une question d’une importance à ne pas sous-estimer est celle de sa place dans le système de la théorie pure du droit. Le philosophe du droit qui a travaillé le plus souvent et de la manière la plus approfondie tant sur la Grundnorm en particulier que sur la théorie pure du droit en général est sans aucun doute Stanley L. Paulson. Il décrit la théorie de la norme fondamentale comme « le cœur et l’âme de la théorie pure du droit de Hans Kelsen ». La Grundnorm est ainsi le générateur qui emplit de vie et anime l’ensemble du système. De ce point de vue, la norme fondamentale s’apparente à l’élément central de la théorie pure du droit, celui qui, en quelque sorte, dirige et maintient le système, qui marque son identité.
Cette appréciation de la (théorie de la) Grundnorm a un certain poids, et au moins la première apparence de son côté. Et pourtant, si l’on se laisse guider par la perspective interne de la théorie pure du droit, des doutes apparaissent sur le bien-fondé de la thèse du « cœur et de l’âme ». Trois indices qui parlent contre cette catégorisation vont être brièvement expliqués : l’un est généalogique, l’autre systématique, et le dernier téléologique.
A. Indice généalogique : un élément « tardif » de la théorie pure du droit
Du point de vue du développement historique, Kelsen ne construit pas sa théorie pure du droit en s’orientant vers la Grundnorm, ni en partant d’elle ni autour d’elle. Bien au contraire, la théorie de Kelsen, à ses débuts, pour ainsi dire dans sa phase de fondation, ne connaît pas encore de norme fondamentale ou d’équivalent fonctionnel. La position qui sera occupée quelques années plus tard par la Grundnorm est encore inoccupée ou, peut-être plus précisément : elle est encore inexistante.
Kelsen, si on laisse de côté ses écrits « précritiques » dans la première décade du vingtième siècle, pose les fondements de sa théorie pure du droit en 1911 dans sa thèse d’habilitation. Les Hauptprobleme der Staatsrechtslehre entwickelt aus der Lehre vom Rechtssatz (Problèmes principaux de la théorie juridique de l’État développés à partir de la théorie de la proposition juridique) se consacrent (presque) exclusivement à la statique juridique, ils analysent la norme juridique pour ainsi dire uniquement au repos. La dynamique juridique, qui montre la norme juridique dans son contexte de création (et de destruction) ne sera pleinement développée que plus tard, avec la découverte progressive de la construction par degrés de l’ordre juridique. Dans ses Hauptprobleme, Kelsen conçoit encore le droit à travers ce que l’on pourrait appeler le solipsisme de la loi : la loi représente la seule forme de proposition juridique scientifiquement pertinente. Le processus de la législation comme, en un certain sens, celui de l’exécution de la loi, restent volontairement hors de considération : en se référant à Georg Jellinek, Kelsen assure que le « problème de l’apparition et de la destruction du droit » est d’une « nature métajuridique ». « Les dispositions conformes à la Constitution [sic] relatives à la création des lois », explique-t-il, ne sont « pas des propositions juridiques qui obligent qui que ce soit ». Il considère que, dans la perspective de la science du droit, la législation est « le grand mystère du droit et de l’État » : la question d’un « fondement juridique à l’ordre juridique » apparaît dès lors « absurde ». Quant aux phénomènes juridiques infra-législatifs, d’exécution de la loi, ils ne forment pour le Kelsen des Hauptprobleme que des « actes d’application dénués d’indépendance par rapport à la loi », qui se contentent de faire « valoir l’obligation juridique [déjà] édictée par la loi ». Une telle conception du droit n’a tout simplement pas besoin d’une norme fondamentale qui clôt la régression de validité.
Mais le développement de la Grundnorm dans les années 1913-1930 n’est pas non plus attribuable au plaisir de la spéculation et de la construction philosophiques. Il est plutôt l’expression et la conséquence de l’élargissement de la conception nomostatique à la nomodynamique. Confronté à des problématiques issues de la pratique juridique et stimulé par les travaux de ses élèves, en particulier Adolf Julius Merkl (1890-1970), Alfred Verdroß (1890-1980) et Leonidas Pitamic (1885-1971), Kelsen inclut dans son analyse scientifique du droit les phénomènes juridiques situés « au-dessus » et « en-dessous » de la loi, c’est-à-dire d’un côté la Constitution, et de l’autre les normes juridiques infra-législatives, qu’elles soient abstraites et générales ou concrètes et individuelles. De cela résulte le concept de construction par degrés de l’ordre juridique (Stufenbau der Rechtsordnung), dans lequel les normes juridiques de la plupart des niveaux possèdent une « double face juridique » : elles sont d’un côté conditionnées, et de l’autre conditionnantes. Tandis que la Constitution du droit positif occupe encore dans un premier temps la place de la Grundnorm non conditionnée et unificatrice, la question de la validité des normes juridiques (et des ordres juridiques), et à sa suite la question de la norme fondamentale, apparaît uniquement avec l’inclusion du droit international à partir de 1920 au centre des efforts pour une théorie pure du droit. On ne saurait affirmer sérieusement que ce n’est qu’à partir de là que la théorie pure du droit dispose d’un « cœur et d’une âme ».
B. Indice systématique : un concept de la dynamique du droit, pas de la statique du droit
Sous des auspices systématiques, il est également difficile de reconnaître le rôle prétendument clé de la théorie de la Grundnorm pour le concept général de la théorie pure du droit. Comme on l’a déjà évoqué, le développement du concept de la norme fondamentale est étroitement lié, tant d’un point de vue chronologique que systématique, à l’élargissement de perspective, de la seule statique du droit à la dynamique juridique. Certes, il est également possible de formuler une théorie de la Grundnorm d’un point de vue nomostatique (Kelsen critique toutefois alors la confusion du fondement de la validité avec le contenu de la validité). Mais ce n’est que du point de vue nomodynamique que la Grundnorm reçoit sa pleine signification : elle clôt en effet la régression de validité qui serait autrement infinie. En d’autres termes, la théorie de la norme fondamentale ne reçoit pas sa signification spécifique et sa place particulière par le biais de l’analyse nomostatique, mais seulement de l’analyse nomodynamique dans le cadre de la théorie de la construction par degrés, qui décrit le rapport de transmission de validité entre normes et ainsi le processus de validité, au sens d’un processus de test d’appartenance. Comme cependant, selon Kelsen, l’analyse nomodynamique complète mais ne remplace aucunement l’analyse nomostatique, la théorie de la norme fondamentale ne possède une pertinence digne d’être mentionnée « que » pour l’une des deux faces de la théorie pure du droit. La métaphore du « cœur et de l’âme » insinue (et revendique ?) une position relative à l’ensemble du système, à ses deux faces.
C. Indice téléologique : un moyen, et non un but, de la théorie pure du droit
La place et la fonction de la théorie de la norme fondamentale dans l’architecture générale de la théorie pure du droit contredisent également la thèse du « cœur et de l’âme ». En effet, la théorie de la Grundnorm ne compte pas parmi les axes principaux qui confèrent sa structure à la théorie pure du droit, parmi les lignes de perspective qui orientent les regards qui se portent sur elle, parmi les axes de coordonnées qui aiguillent sa perception. Comme on l’a déjà mentionné, la norme fondamentale n’est pas le fruit d’une libre création spéculative et d’une ingénieuse composition. Elle n’est pas le centre et le point de départ d’une architectonique générale qui en découle. Elle est avant tout issue de la volonté de mener de manière conséquente une théorie du droit à l’attention de la pratique juridique. Kelsen a besoin de la Grundnorm et la développe pour parfaire l’architecture de la théorie pure du droit. Ainsi, Kelsen ne conçoit pas la théorie pure du droit pour procurer à la Grundnorm qu’il aurait d’emblée élaborée un sol de résonnance suffisant. Il conçoit au contraire la norme fondamentale, tant sous des auspices généalogiques que systématiques, pour combler un vide conceptuel créé par son rejet tant de la fondation métaphysique-transcendante que de la fondation empirique-causale de la validité, et qui aurait pu laisser apparaître sa théorie pure du droit comme une théorie incomplète. La théorie de la Grundnorm a donc un caractère instrumental par rapport à la théorie pure du droit : elle est un moyen dans le but de former et de formuler un « positivisme juridique conséquent » (et l’on pourrait aussi dire : un positivisme critique). Tandis que ce « positivisme juridique conséquent » fournit l’idée qui est à la base de la théorie pure du droit, la théorie de la Grundnorm forme seulement l’un des éléments nécessaire mais plus ou moins interchangeables de la construction. Cela explique aussi pourquoi les changements successifs dans la conceptualisation de la norme fondamentale n’emportent pas d’effets essentiels sur le concept structurel et fonctionnel du droit positif formulé par la théorie pure du droit.
À cet égard, la distinction que Gabriel Nogueira Dias a introduit dans la littérature relative à la théorie kelsénienne est utile. Il s’agit de la distinction entre, d’une part, le projet positiviste-normativiste, que Kelsen a poursuivi toute sa vie de manière conséquente et sans modification essentielle, et d’autre part, la théorie générale du droit conçue dans cet esprit, qui connaît, au cours des années, de nombreuses modifications dues la plupart du temps à la recherche d’une conception toujours plus conforme au projet. La théorie de la norme fondamentale n’est pas une composante de l’immuable projet, mais un élément de la conception variable. Cette constatation s’accorde difficilement avec l’affirmation selon laquelle la Grundnorm serait « le cœur et l’âme de la théorie pure du droit ».
III. La norme fondamentale comme élément de construction d’un « positivisme juridique conséquent »
A. La coïncidence du normativisme et du positivisme comme « cœur et âme » de la théorie pure du droit
Personne n’a démontré avec plus de sagacité que Stanley L. Paulson la manière dont la théorie de Kelsen (à chacune de ses phases de création) repose sur les deux thèses de séparations, plus précisément sur la coïncidence, la combinaison, la synthèse des dichotomies entre le Sein et le Sollen d’un côté, le droit et la morale de l’autre. Dans leur synthèse, elles forment le fondement invariable qui constitue l’identité de la théorie pure du droit. La démarche de Kelsen, en ce qu’elle se prononce contre une déduction vérifiable par la science du droit du Sollen à partir du Sein, et du droit à partir de la morale est, de manière positive, normativiste et positiviste mais aussi, pour le dire de manière négative, antimoraliste et antinaturaliste. Aussi Kelsen est-il renvoyé à deux questions déterminantes pour sa conception du droit. Comment la positivité du droit peut-elle être préservée, si la validité des normes ne peut être fondées sur des faits (qu’on les appelle le pouvoir, la reconnaissance ou l’efficacité) ? Et comment peut-on en même temps affirmer la normativité du droit sans recourir à une déduction à partir de valeurs absolues (qu’on les appelle la raison, la justice ou Dieu) ? En d’autres termes, comment peut-on refuser simultanément à propos du droit la déduction du Sollen à partir du Sein et celle du droit à partir de la morale ? La solution de Kelsen, qui lui permet de maintenir son rejet tant du naturalisme (juridique) que du moralisme (juridique), réside dans la coïncidence d’un positivisme sans naturalisme et d’un normativisme sans moralisme.
Kelsen écarte le positivisme juridique traditionnel parce que celui-ci commet l’erreur naturaliste, il viole le principe selon lequel un Sollen ne peut être déduit d’un Sein. Il partage en revanche le point de vue positiviste selon lequel l’objet de la connaissance scientifique ne peut être que le droit positif, posé par des hommes. De la sorte, cependant, l’existence juridique spécifique, c’est-à-dire la validité du droit, est liée (d’une manière réglée par le droit lui-même sous la forme de conditions de créations du droit) à l’intervention (ou à l’absence) de certains actes comportementaux humains. Comme il s’agit là de faits vérifiables empiriquement, la validité du droit est conditionnée par des faits. « Mais attention, ajoute Kelsen, ces faits, qui relèvent du Sein, ne sont que la condition de la validité, et non la validité elle-même, qui est un Sollen ». Un comportement humain est donc une conditio sine qua non pour l’apparition du droit, mais pas une conditio per quam. En ce qu’elle insiste sur la positivité du droit au sens de son conditionnement factuel, la théorie pure du droit revendique avec raison être une « théorie du droit radicalement réaliste ».
Parallèlement, la théorie pure du droit écarte la théorie du droit naturel, en particulier parce qu’elle viole voire conteste l’axiome du relativisme axiologique et l’impossibilité de déduire le droit positif de la morale. En revanche elle partage le normativisme régulièrement propagé par les représentants de la démarche jusnaturaliste, en vertu duquel une norme ne peut avoir sa base de validité que dans une autre norme, un Sollen dans un Sollen. Cependant, selon une conception de la validité relationnelle qui s’appuie sur une théorie de la cohérence, seules les normes de la même sphère de validité, c’est-à-dire d’un système de validation identique, peuvent transmettre la validité. Pour les normes juridiques d’un ordre juridique concret, cela signifie que seules les normes juridiques du même ordre juridique interviennent comme fondement de validité.
En résumé, Kelsen associe dans une nouvelle unité originale les éléments fondamentaux des deux démarches traditionnelles, le jusnaturalisme et le juspositivisme. La théorie pure du droit se veut un normativisme sans, comme la théorie du droit naturel, glisser dans le moralisme juridique, et elle se veut simultanément un positivisme (juridique) sans, comme le positivisme empirique sociologique ou psychologique, glisser dans le naturalisme juridique. Bref : c’est la coïncidence du normativisme sans moralisme (juridique) et du positivisme sans naturalisme (juridique) qui fait le propre de la théorie pure du droit, « son cœur et son âme » si l’on veut. Pour notre sujet, cela signifie que la précision de la place et de la fonction de la théorie de la Grundnorm doit partir du projet normativiste-positiviste de Kelsen. Celui-ci forme le contexte déterminant pour celle-là.
B. La norme fondamentale : un panneau « Stop »
Sur cet arrière-plan, la place et la fonction primaire de la norme fondamentale au sein du concept de validité de la théorie pure du droit peuvent être clairement esquissées. Avec la théorie de la Grundnorm, Kelsen surmonte une difficulté devant laquelle le place sa démarche conséquente positiviste-normativiste. En raison du normativisme (non-moraliste), une norme du droit positif ne peut recevoir sa validité que d’une autre norme du droit positif. Ce lien de déduction de norme à norme s’achève cependant, c’est la conséquence du positivisme juridique (non-naturaliste) avec la première norme positive historique, c’est-à-dire avec la norme de laquelle découle la validité de toutes les autres normes du même système de validation (autrement dit : de l’ordre juridique concret). De la sorte apparaît un dilemme : le fondement de la validité nécessite une norme, puisque Kelsen a d’emblée exclu de se référer à autre chose, en particulier à des faits ; mais, par définition, cette première norme ne peut plus être tirée du droit positif, et un recours à d’autres systèmes normatifs est également exclu par définition.
La norme fondamentale sert donc à clore la régression de validité sans désavouer les deux axiomes principaux de la théorie pure du droit, son normativisme et son positivisme. En d’autres termes, le normativisme de Kelsen peut être lu comme le refus de fonder la validité sur des faits du Sein, son positivisme comme le refus de fonder la validité sur des normes de la morale. La Grundnorm unit et renforce ces deux panneaux « Stop » au point ultime de la question de validité. Sa fonction principale, sa véritable raison d’être est donc négative ou, plus précisément peut-être, défensive : le concept de validité doit, conformément à la prétention normativiste-positiviste, demeurer libre des fondements de validité métaphysiques-transcendants et empiriques-causaux, qui sont rejetés comme intenables. Sa fonction est celle d’un mécanisme interne de défense du système (juridique) contre les influences extérieures qui sont étrangères au système et lui nuisent. Pour ainsi dire, le concept de validité fonctionne comme un « pare-feu » contre les « virus » moralistes et naturalistes. En d’autres termes, la norme fondamentale, en ce qu’elle exclut toute autre référence pour le fondement de la validité, renvoie le droit positif (faute de mieux !) en quelque sorte à lui-même, et affirme de la sorte rien de moins que l’« auto-création du droit », c’est-à-dire l’« auto-constitution de [...] la validité qui est immanente au droit ». Lue de cette manière, la norme fondamentale n’a pas véritablement une fonction fondatrice (ou qui prouve le fondement), mais simplement explicative. Une fonction supplémentaire, pour ainsi dire plus « positive », de la Grundnorm s’avère au mieux subordonnée par rapport à cette fonction principale. Il reste encore à examiner si une telle fonction peut être justifiée, et le cas échéant dans quelle mesure.
C. Un concept de non-affectation matérielle
L’expression la plus claire et la conséquence la plus importante de cette fonction première résident dans l’effet premier de la norme fondamental. Bien que Kelsen accorde au cours des années des formulations et des caractérisations variables à la Grundnorm, il est un point sur lequel il est parfaitement cohérent tout au long de son œuvre : la norme fondamentale concerne exclusivement le fondement de la validité, et non le contenu de validité du droit positif. C’est peut-être dans « Le problème de la justice », joint en annexe à la seconde édition de la Théorie pure du droit, que Kelsen formule ces rapports de la manière la plus claire : « La norme fondamentale fixe simplement le fondement de validité, et non le contenu de validité du droit positif. Ce fondement de validité est complètement indépendant du contenu de validité. La Grundnorm laisse au processus de création positive du droit fixé par la Constitution la tâche de déterminer le contenu du droit positif. Là réside la fonction propre de ce processus ».
Comme la fonction première, l’effet premier est niant ou négatif. La norme fondamentale montre là aussi sa qualité de « pare-feu », elle est un concept de non-affectation matérielle et protège le processus d’auto-création (l’autopoïesis) du droit positif contre des influences extérieures non sollicitées. La Grundnorm (ou le choix de celle-ci) n’a pas d’influence sur le contenu des normes juridiques, c’est-à-dire sur l’état concret, contingent, du droit positif. On ne saurait sous-estimer la portée de cette conséquence : elle signifie en effet que les questions relatives à l’état concret des normes de droit positif trouvent leurs réponses exclusivement dans les normes de droit positif, et jamais au moyen d’une référence (non commandée par le droit positif !) à des phénomènes extra-juridiques, qu’ils soient de nature normative ou factuelle.
IV. Les lectures « passive » et « active » de la norme fondamentale
A. Les dangers d’une conception excessive de la norme fondamentale
Si l’on s’en tient à l’aspect négatif de la Grundnorm, qui veille à ce que la validité du droit ne soit fondée ni sur des éléments métaphysiques-transcendants, ni sur des éléments empiriques-causaux, alors le concept et les présentations qu’en fait Kelsen dans ses différentes (phases de) publications sont cohérents et consistants. Des ambiguïtés, des approximations et des inexactitudes surviennent en revanche dès que l’on cède à la tentation d’attribuer à la norme fondamentale, à côté de sa fonction et de ses effets pour ainsi dire « passifs », défensifs, destructifs (ou déconstructifs), une fonction et des effets pour ainsi dire « actifs », constructifs. Les difficultés relatives à une interprétation « active » de la norme fondamentale apparaissent en outre largement voire complètement indépendamment de la qualification de la norme fondamentale comme une supposition transcendantale-logique, une hypothèse ou une fiction au sens de Vaihinger.
Certaines affirmations de Kelsen lui-même sur la relation entre la norme fondamentale et le droit positif sont à cet égard paradigmatiques. Elles figurent dans son œuvre de maturité, la seconde édition de la Théorie pure du droit de 1960, dans les paragraphes 34 (« Le fondement de la validité des ordres normatifs : la norme fondamentale ») et 35 (« La construction de l’ordre juridique par degrés »). Elles sont ici données dans leur ordre original de succession.
La norme fondamentale est la source commune de la validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre ; elle est le fondement commun de leur validité. L’appartenance d’une norme à tel ou tel ordre a sa source dans le fait que le fondement ultime de sa validité est la norme fondamentale de cet ordre. C’est cette norme fondamentale qui fonde l’unité d’une pluralité de normes, par le fait qu’elle représente le fondement de la validité de toutes les normes appartenant à cet ordre.
Ce qui caractérise le type dynamique [d’un système de normes], c’est le fait que la norme fondamentale présupposée ne contient rien d’autre que l’institution d’un fait créateur de normes, l’habilitation d’une autorité créatrice de normes, ou – cela revient au même – une règle qui détermine comment doivent être créées les normes générales et les normes individuelles de l’ordre qui repose sur cette norme fondamentale. […] la norme fondamentale se borne à déléguer une autorité créatrice de normes, c’est-à-dire à poser une règle conformément à laquelle les normes de ce système doivent être créées.
Si l’on pose la question du fondement de la validité d’une norme juridique appartenant à un ordre juridique déterminé, la réponse ne peut consister qu’à la rapporter à la norme fondamentale de cet ordre juridique, autrement dit : elle réside dans l’assertion que cette norme a été créée conformément à la norme fondamentale.
L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice hiérarchisé formé de plusieurs couches de normes juridiques. Son unité résulte de la connexion entre éléments qui découle du fait que la validité d’une norme qui est créée conformément à une autre norme repose sur celle-ci ; qu’à son tour, la création de cette dernière a été elle aussi réglée par d’autres, qui constituent à leur tour le fondement de sa validité ; et cette démarche régressive débouche finalement sur la norme fondamentale, – norme supposée. La norme fondamentale hypothétique – en ce sens – est par conséquent le fondement de validité suprême, qui fonde et scelle l’unité de ce système de création.
Ici, la norme fondamentale n’est pas lue à partir de sa signification « passive » de clôture de la régression de validité. Elle apparaît tout au contraire comme le sommet ou la base de l’ensemble de l’ordre juridique, qui met tout le reste en mouvement, la ligne de perspective vers laquelle tout se dirige et de laquelle tout provient.
Le mode de présentation choisi par Kelsen apporte cependant davantage de questions que de réponses. Au centre de toutes les interrogations se trouve la distribution des rôles entre, d’un côté, la norme fondamentale, la « Constitution au sens juridico-logique » et, de l’autre, la « Constitution historiquement première » (au sens du droit positif). Laquelle de ces deux normes fonde l’« unité d’une pluralité de normes », et en fin de compte l’unité et l’identité de l’ordre juridique (et donc l’ordre juridique lui-même) ? Laquelle des deux est le fondement commun de validité de « toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre » (à l’exception le cas échéant de la Constitution historiquement première) ? La norme fondamentale appartient-elle à l’ordre juridique ? Fait-elle partie du rapport régressif que l’on nomme construction par degrés (Stufenbau) ? Que signifie l’affirmation que la norme fondamentale « institue » le premier « fait créateur de norme », qu’elle « habilite » ou « délègue » la première « autorité normative » ? A-t-on le droit, voire même est-on contraint, si l’on souhaite désigner le « fondement de la validité d’une norme juridique appartenant à un certain ordre juridique », de se référer à « l’assertion que cette norme a été créée conformément à la norme fondamentale » ? La validité d’une norme suppose-t-elle sa conformité à la Grundnorm ? Mais un tel raisonnement permet-il de maintenir de manière conséquente et consistante le concept de non-affectation matérielle ? Il est permis d’en douter.
Tous ces points d’interrogation trouvent en fin de compte leur origine dans la lecture « active » du concept de norme fondamentale : la Grundnorm n’est plus un simple butoir, un panneau qui signale une impasse. Il s’agirait sinon de la lecture simplement « passive », laquelle provoque visiblement chez beaucoup un horror vacui qui pousse à un remplissage « actif » du vide « passif ». De la sorte, la norme fondamentale est promue (ou devrait-on dire qu’elle est transformée en ?) acteur : elle intervient pour ainsi dire activement dans les évènements relatifs à la validité, que la théorie pure du droit conçoit de manière dynamique. Elle se place aux côtés de la Constitution au sens du droit positif, comme son pendant « logico-juridique ». Elle pose, elle habilite, elle délègue, elle forme le fondement (ultime) de validité, c’est à elle qu’aboutit la construction par degré. Par conséquent elle est une norme parmi les normes, elle possède des fonctions et des effets semblables aux autres normes, même si elle a le statut particulier d’être supposée ou simulée. En y regardant de plus près, elle entre dans une concurrence de fonction et d’effets avec la « Constitution historiquement première », concurrence que Kelsen n’a pas résolu de manière convaincante. Cela apparaît particulièrement clairement dans les passages pertinents de la General Theory of Law and State de 1945 :
Toutes les normes dont nous pouvons retracer la validité jusqu’à une seule et même norme fondamentale forment un système de normes : un ordre. Parce qu’elle constitue leur source commune, la norme fondamentale est le lien entre toutes les normes dont un ordre se compose. On n’établira qu’une norme appartient à un système de normes donné, à un ordre normatif donné, qu’en s’assurant qu’elle tire sa validité de la norme fondamentale constituant l’ordre. Une proposition d’« être » est vraie parce qu’elle concorde avec la réalité de l’expérience sensible, une proposition de « devoir-être » est une norme valide seulement si elle appartient à un système déterminé de normes valides, si elle est dérivable d’une norme fondamentale supposée valide.
Dans chacune de ces phrases (à l’exception de la seconde moitié de la dernière) se pose la question de savoir si Kelsen caractérise là vraiment la fonction et les effets de la norme fondamentale, ou plutôt de la Constitution historiquement première. Ce n’est pas sans raison que Herbert Hart a reproché au concept de la Grundnorm de n’être qu’un « redoublement inutile » (needless reduplication) de ce que Kelsen lui-même a désigné comme la « Constitution historiquement première ».
On a déjà expliqué que dans la lecture « passive », négative, la Grundnorm possède une fonction et un effet propres, elle donne à voir ce qui ne peut être perçu autrement, et ne constitue donc nullement une « needless reduplication ». Dans sa version « active », en revanche, les associations trompeuses sont inéluctables. Les catégories, employées par Kelsen pour décrire la norme fondamentale, de « norme » et de « validité », de « Constitution » et de « construction par degrés », d’» habilitation » et de « délégation » insinuent d’une part que la Grundnorm possède à côté et indépendamment de la « Constitution historiquement première » une position autonome dans le processus régulier de production du droit, et d’autre part que ce rôle peut être saisi avec les mêmes catégories que celles qui servent à décrire et à apprécier le droit positif. Il est cependant permis de douter de ces deux affirmations.
La cristallisation et la réification de la norme fondamentale dues à sa conception « active » conduisent à des problèmes de délimitation et de dédoublement avec la « Constitution historiquement première ». L’exubérant concept « actif » conduit à oublier trop facilement que la « norme fondamentale » ne fait rien d’autre que de combler un vide pour l’invérifiable validité en droit positif de la « Constitution historiquement première ». La sémantique employée conduit droit dans le piège de l’homonymie qui s’exprime dans le fait que l’on ne s’aperçoit pas, ou du moins que l’on ne fait pas attention à ce que derrière des dénominations identiques se cachent des significations conceptuelles différentes. En effet la « norme » (fondamentale) n’est pas la même chose que la « norme » (de droit positif), la « validité » (hypothétique, fictive) n’est pas la même chose que la « validité » (catégorique, non-fictive), la « Constitution » (logico-juridique) n’est pas la même chose que la « Constitution » (du droit positif). Il ne s’agit pas ici de différences sémantiques de degré, mais de nature : ces phénomènes nommés de la même manière émanent de systèmes de validation différents. En conséquence, d’autres notions telles que la « construction par degrés » et le « rapport de production », l’« habilitation » et la « délégation » développent une signification différentes selon qu’ils sont employés dans le contexte de la norme fondamentale ou dans un pur contexte de droit positif. Nous y reviendrons.
Dépasser la lecture « passive » pour charger « activement » la théorie de la Grundnorm a donc un prix, celui d’introduire un obscurcissement et un risque de confusion (pour ne rien dire de plus grave !) au sein du concept normativiste-positiviste de validité.
B. La norme fondamentale : un concept réservé à l’heure « zéro » du droit positif
Les problèmes de consistance liés à la lecture « active » de la norme fondamentale résultent donc, d’un côté, du manque de clarté de la relation entre la Grundnorm et la « Constitution historiquement première » et, de l’autre, de l’utilisation de notions ambigües. Se pose alors la question de savoir si ces faiblesses sont nécessairement inhérentes au concept de norme fondamentale, ou bien s’ils ne sont que l’expression d’une formulation exagérée. Il s’est déjà avéré très utile, dans les développements précédents, de se demander ce qui a conduit Kelsen à élaborer quelque chose comme la norme fondamentale, et quel effet il voulait ainsi obtenir. Une stratégie similaire sera donc adoptée ici et une troisième question sera utilisée pour libérer le noyau de la théorie de la Grundnorm de ses surcharges en parties superflues et en partie trompeuses. Cette question porte sur la détermination précise du lieu d’intervention de la norme fondamentale, et pourrait être formulée de la manière suivante : dans quelle relation de validité, à quel endroit dans le rapport de production du droit Kelsen a-t-il recours à la norme fondamentale ? Cette question, comme celle relative à la fonction et à l’effet, trouve une réponse facile et claire : Kelsen a besoin de la norme fondamentale exclusivement pour pouvoir « fonder » la validité de la « Constitution historiquement première ». La « Constitution historiquement première », dont la dénomination n’est peut-être pas des plus heureuses, désigne la dernière norme identifiable du droit positif dans la régression de validité (selon une interrogation rétrospective). Il s’agit de la norme (de droit positif) qui met en mouvement le rapport de production du droit positif. La validité de toutes les normes supplémentaires, « ultérieures », de l’ordre juridique concerné dérive de cette norme. Plutôt que de « Constitution historiquement première », on pourrait ainsi parler plus simplement de première norme (du droit positif).
Néanmoins, dès que cette première norme est identifiée dans son existence, c’est-à-dire « fondée » dans sa validité, le système (nommé ordre juridique) est mis en branle, son mécanisme fermé d’auto-création est activé. Un recours à des facteurs externes au système est, pour les relations intra-systémiques (et la validité juridique n’est rien d’autre qu’une telle relation d’appartenance), non seulement inutile, mais également défendu selon la conviction normativiste-positiviste. Avec la norme fondamentale, l’énigme du commencement, du big-bang du droit positif est « résolue ». Le chaînon manquant dans le processus de création du droit positif est nommé. La théorie de la Grundnorm est l’équivalent fonctionnel de la doctrine du pouvoir constituant du peuple, développée par la théorie de l’État. Il s’agit, en d’autres mots, d’un concept qui ne vaut que pour l’heure « zéro » du droit positif. Pour filer la métaphore, dès que le temps du droit positif commence à courir, le temps de la norme fondamentale est écoulé.
Plutôt que du point de vue prospectif de la théorie du droit, on peut le dire sous l’angle rétrospectif de la pratique juridique : celui qui, à partir d’un cas concret, ne poursuit pas la question de la validité juridique au-delà de la « Constitution historiquement première » ne rencontrera pas (ne pourra pas rencontrer) la norme fondamentale. Par exemple, celui qui, aux États-Unis, se « contente » de poursuivre la question de la validité juridique « simplement » jusqu’à la Constitution fédérale du 17 septembre 1787, ou celui qui, dans l’Allemagne contemporaine, se satisfait de rapporter une proposition juridique qui prétend à la validité jusqu’à la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949, ne voit ni la nécessité ni la justification de réfléchir à quelque chose comme une norme fondamentale. L’efficace « We the People » du préambule, associé à l’autorité incontestée des « founding fathers », conclut le discours de la validité au sujet de la Constitution américaine de 1787 avant même qu’il n’ait commencé. Il n’en va pas autrement pour la Constitution allemande d’après-guerre, bien plus jeune et apparue dans des conditions qui se prêtent moins à la narration : même au moment de la réunification, où ceux qui aspiraient à une nouvelle Constitution pour toute l’Allemagne disaient de la Loi fondamentale qu’elle était affectée d’une « marque de naissance » qui réduisait sa légitimité, en raison de l’absence d’une adoption par référendum, personne n’émit le moindre doute sur la validité de la Loi Fondamentale.
Il faut le souligner : la fonction et l’effet de la norme fondamentale s’épuisent dans la « réponse » à la question de la validité de la « Constitution historiquement première ». La seule norme du droit positif avec laquelle la Grundnorm entre dans une relation directe de « validité » est la première norme, ou « Constitution historiquement première ». En dehors de cette unique relation, la norme fondamentale est dénuée de fonction et d’effet. Kelsen l’exprime du reste clairement avec son concept de non-affectation matérielle, selon lequel la Grundnorm n’influence pas le contenu du droit positif. Des formulations comme celle qui affirme que le « fondement de la validité de [chaque] norme juridique […] réside dans l’assertion que cette norme a été créée conformément à la norme fondamentale » obscurcissent la fonction et l’effet exclusifs (au double sens du mot) de la Grundnorm. Une relation entre la norme fondamentale et les autres normes du droit positif (si l’on veut absolument parler ici de relation !) n’existe que de manière indirecte, quand et dans la mesure où l’on inclut aussi, dans l’examen de la chaîne des relations de validité (le rapport de production du droit positif), la validité de la « Constitution historiquement première », de la première norme. Il n’existe en revanche pas de relation (de validité) séparée de celle-ci, autonome, directe et individuelle entre la norme fondamentale et les deuxièmes, troisièmes, etc. normes du droit positif. En conséquence, la norme fondamentale n’entre pas en concurrence quant à sa fonction ou son effet avec la « Constitution historiquement première », ce qui fait tomber à plat le reproche de la « needless reduplication » (reproche qui devrait autrement être pris au sérieux !).
C. Validité du système et validité systémique
Cette localisation du lieu (exclusif) d’intervention de la norme fondamentale ouvre la voie à une conclusion supplémentaire. La relation entre la Grundnorm et la première norme (« Constitution historiquement première ») d’une part, et les relations entre normes de droit positif, entre la première norme et la deuxième norme, entre la deuxième norme et la troisième norme, etc., d’autre part, sont deux types catégoriquement différents de relations de validité. Parler indifféremment dans les deux cas de validité, voire rapporter les deux cas à un même rapport de validité, c’est-à-dire un rapport de déduction commun, transitif et unidirectionnel nommé la construction de l’ordre juridique par degrés, est ainsi une μετάβασις εἰς ἄλλο γένος. Or c’est précisément ce qui se passe (ou au moins risque de se passer) lorsque la norme fondamentale est décrite comme le « fondement ultime de validité » ou le « fondement de validité suprême d’un ordre normatif ».
Commençons par le point plus évident et le plus important : la relation de validité entre la norme fondamentale et la première norme n’a qu’un caractère virtuel, et non un caractère réel comme la relation entre les normes de droit positif. Kelsen ne laisse aucun doute à ce sujet : la Grundnorm n’est « qu’une norme pensée ». Elle ne peut par conséquent que conférer une validité virtuelle, une validité « comme si » (Als-ob-Geltung). À y regarder de plus près, la norme fondamentale fait ici exclusivement office de point de référence épistémologique, et ce parfaitement dans le sens de la lecture « passive ». Ce ne sont pas deux normes du même type qui se font face dans cette relation de « validité ». Rien que pour cette raison, il est trompeur d’affirmer que la norme fondamentale « habilite » ou « délègue » le pouvoir (de création) juridique. De plus, comme on l’a montré, la Grundnorm ne peut par essence entrer en relation directe de « validité » qu’avec une seule norme, la première norme (« Constitution historiquement première ») ; une telle « monogamie » de validité n’est pas propre par essence aux relations des normes du droit positif. Mais si la première norme est cette norme dont on déduit toutes les autres normes juridiques d’un ordre, alors la norme fondamentale introduit une alternative entre « tout » ou « rien » pour ces normes : soit elle transmet, par l’intermédiaire de la première norme, la « validité » à toutes les normes d’un ordre juridique, soit à aucune. La norme fondamentale ne peut fournir une transmission de validité individuellement différenciée.
On peut, et même on doit, aller un pas plus loin : si l’ensemble des normes d’un rapport de production, c’est-à-dire d’un système de validation, d’un ordre juridique, se déduit de la première norme, alors c’est elle qui fonde l’unité de cet ordre juridique. En ce que la norme fondamentale transmet la « validité » à la première norme, elle transmet aussi la « validité » à l’ordre juridique en tant que tel. Au contraire, les relations de validité du droit positif concernent l’appartenance à l’ordre juridique, donc non pas la validité de l’ordre juridique, mais la validité dans l’ordre juridique, non pas la validité du système, mais la validité dans le système ou validité systémique. Si l’on se rappelle encore une fois que la validité ne peut être affirmée que de manière relationnelle et relative, c’est-à-dire en lien avec un certain système de validation, il apparaît clairement que la question de savoir si une norme est valide par rapport à un certain ordre juridique, d’un côté, et la question de savoir si cet ordre juridique est valide relativement à un point de référence appelé la norme fondamentale, qui transcende nécessairement l’ordre juridique, conduisent à des affirmations de validité incommensurables et incomparables, qui ne sont pas réciproquement substituables ou autrement compatibles. Si les deux affirmations de validité doivent être strictement distinguées, alors on peut déclarer avec Kelsen, dans le sens d’un principe de non-affectation suivi de manière conséquente : « La question de la validité d’une norme isolée trouve sa réponse dans le système en référence à la première Constitution qui fonde la validité de toutes les normes ».
Un indice important qui montre que Kelsen lui-même voulait voir prise en compte la différence entre les modes de validité (validité du système d’une part, et validité dans le système d’autre part) est perceptible dans la différence qu’il opérait par exemple dans la première édition de la Théorie pure du droit entre l’ensemble de l’ordre juridique et la norme juridique isolée à propos du lien entre la validité et l’efficacité. Tandis qu’il formulait, pour la validité de l’ensemble de l’ordre juridique, donc pour la supposition de la norme fondamentale, la condition que l’ordre juridique soit grosso modo efficace, il n’exigeait pas la même chose pour la validité d’une norme juridique isolée.
De manière sensiblement différente, Hart confirme également que la validité du système et la validité dans le système sont à distinguer strictement. Hart ne parle de « validity » qu’à propos de la validité dans le système, et il la traite grosso modo de la même manière que Kelsen. En revanche, la validité du système n’est pas, pour Hart et contrairement à un normativisme conséquent, une relation de normativité, mais une « question of fact ». Dès lors, il ne parle pas de la « validity of a legal system », mais de l’» existence of a legal system ». La « rule of recognition of a legal system » forme le « authoritative criteria for the identification of valid rules of the system ». Lorsque la discussion porte sur l’existence de la « rule of recognition », il ne s’agit plus d’une question de validité et de normativité :
The question whether a rule of recognition exists and what its content is, i.e. what the criteria of validity in any given legal system are, is regarded […] as an empirical, though complex, question of fact.
Cette déduction du Sollen à partir du Sein, que Hart dissimule avec le concept d’« existence », rend inutile la Grundnorm, que Hart peut rejeter comme une « needless reduplication ». On peut laisser ici en suspens la question de savoir si l’existence de l’ordre juridique s’explique par des catégories du Sein (Hart) ou du Sollen (Kelsen), pour constater que Hart et Kelsen s’accordent sur le fait que l’existence ou la validité de l’ordre juridique représente quelque chose de catégoriquement différent de la validité d’une norme au sein de l’ordre juridique.
Eu égard à la différence catégorielle entre la validité du système et la validité dans le système, il apparaît que la description, sur la base d’une lecture « active » de la norme fondamentale, de la « validité comme appartenance hybride », en d’autres termes du concept de validité de Kelsen comme un amalgame hybride de modes d’appartenance différents, conduit forcément à des malentendus.
D. Une catégorie de la théorie (de la connaissance), pas de la pratique (juridique)
Comme on l’a déjà mentionné, dans la pratique juridique (ainsi que dans la science du droit orientée vers elle), il n’apparaît pas de question dont la réponse nécessite de se référer à la norme fondamentale. À y regarder de plus près, cela n’est pas seulement une conclusion empirique : celui qui participe au droit, de même que le juriste qui travaille sur le droit positif et accompagne le participant, ne peut pas se poser une telle question sans quitter son rôle de participant. En effet, le participant, qu’il soit législateur ou juge, fonctionnaire administratif ou producteur privé de droit (contractuel) n’existe que dans et en raison de l’ordre juridique concerné, il est sa créature. Il ne peut s’interroger au-delà de l’ordre juridique. Il ne peut mettre en doute l’existence normative, la validité de l’ordre juridique, sans quoi il douterait du même coup de sa propre existence (normative). Celui qui, en tant que participant au droit, nie l’ordre juridique, nie du même coup sa propre existence, ce qui constitue évidemment une contradiction performative. Pour le dire en termes spatiaux, en dehors du système (juridique) il n’existe pas d’acteur du système (juridique) qui pourrait mettre en question le système, et la question du système ne se pose pas dans le système.
La théorie de la norme fondamentale, qui concerne uniquement la validité du système et non la validité dans le système, est donc exclusivement un outil de la théorie du droit, et non de la pratique juridique. Pour le dire en termes disciplinaires, le concept de la Grundnorm ne peut être utilisé que dans les disciplines d’observation comme la théorie ou la philosophie du droit ; elle n’a en revanche pas sa place dans les disciplines de participation, en particulier l’activité doctrinale, qui sont orientées vers le droit positif. Cette conclusion est trop facilement obscurcie par la lecture « active » de la norme fondamentale.
E. La théorie de la norme fondamentale : une « preuve cosmologique de la validité »
La théorie de la norme fondamentale repose sur deux suppositions : d’abord une régression de validité, en vertu de laquelle la validité d’une norme (son existence spécifique) ne peut être transmise que par une autre norme ; ensuite la supposition que cette régression ne peut pas être infinie. Elle déduit de cela la nécessité d’une norme originaire, à laquelle aucune autre norme ne transmet la validité. Ce raisonnement rappelle étonnamment la preuve dite cosmologique que la grande scolastique apportait à l’existence de Dieu, dans ses variantes de la preuve du mouvement (« ex parte motus ») et de la preuve de la causalité (« ex ratione causae efficientis »). Cette démonstration repose aussi sur l’idée d’une régression et sur l’affirmation qu’il doit logiquement y avoir une fin ou un début à cette régression (« Hic autem non est procedere in infinitum » ; « Non autem est possibile quod in causis efficientibus procedatur in infinitum »). Elle en déduit l’existence d’un fondement originaire. On trouve déjà dans la métaphysique d’Aristote la figure du « premier moteur non mû » (« πρῶτον κινοῦν ἀκίνητον ») dont s’empare Thomas d’Aquin dans le cadre de ses « quinque viae ad deum ». Thomas déduit de l’existence de la nature, de la loi de causalité et de sa logique interne, qu’il doit y avoir un « primum movens, quod a nullo movetur », ou encore une « prima causa efficiens » (une « prima causa incausata »). La norme fondamentale fait tout pareillement office de « prima norma non normata », ou bien, plus précisément, de « norma normans non normata » : de norme qui, sans que la validité lui ait été transmise, met en branle le processus de transmission de validité.
Les parallèles entre la preuve « cosmologique » de la validité par Kelsen et la preuve cosmologique de Dieu par Thomas d’Aquin ne s’arrêtent pas là. Un autre point commun très étonnant peut être établi à propos de la relation entre le point de départ de la régression (chez Thomas : la nature, chez Kelsen : le droit (positif)) et la « science primaire » qui étudie cet objet (chez Thomas : la science de la nature, chez Kelsen : la science du droit orientée vers le droit positif (dogmatique juridique)). En effet, si, en suivant la « preuve régressive », on peut conclure tant à propos de la nature que du droit (positif) à l’existence d’une « prima causa causans non causata » ou d’une « prima norma normans non normata », il n’est en revanche pas permis à la « science primaire » d’inclure dans ses réflexions disciplinaire la « prima causa » ou la « prima norma » qui ont été « prouvées » par voie de déduction. Dans les sciences de la natures, Dieu n’est ni un objet de connaissance ni un modèle d’explication, et il en va de même de la norme fondamentale dans la dogmatique juridique. De la même manière que la théologie (tout comme la philosophie) franchit dans la pensée les limites de la nature avec la preuve cosmologique de Dieu, la théorie du droit franchit dans la pensée les limites du droit positif avec la « preuve cosmologique de la validité », c’est-à-dire avec la théorie de la norme fondamentale.
V. La norme fondamentale : un expédient de la pensée au service de l’auto-référence du droit
« Parmi les différents concepts de la philosophie du droit de Kelsen, c’est sa théorie de la norme fondamentale qui attiré le plus l’attention et a captivé l’imagination ». Quarante ans après, la remarque de Joseph Raz décrit toujours de manière parfaitement exacte l’état actuel de la discussion en philosophie du droit. Les développements précédents se sont néanmoins efforcés de montrer qu’il s’agit là d’un malentendu (certes répandu). Il est incontestable que le concept kelsénien de la norme fondamentale attire fortement l’attention et stimule intensivement l’imagination. Mais cela ne saurait conduire à conclure simplement à une fonction centrale et à un effet essentiel de la Grundnorm dans l’ensemble de la théorie pure du droit, voire à la présenter comme « le cœur et l’âme » de celle-ci.
En effet, si l’on contextualise, dans une intention historique-critique, la théorie de la norme fondamentale à la lumière du projet général normativiste-positiviste de Kelsen, cette mise en relation aboutit à une relativisation durable. La Grundnorm « se dégonfle » : elle perd son prétendu aspect central pour devenir un simple instrument au sein de la théorie générale du droit de Kelsen, instrument dont la conception a été plusieurs fois modifiée. Elle ne fait plus office de clé de voute, mais de roue de secours. Elle est, au véritable sens du mot, un bouche-trou dans le système du positivisme juridique normativiste, un remplissage improvisé pour couvrir un espace vide qui serait autrement visible. Elle est un simple expédient de la pensée (« Denkbehelf »). Fidèle à sa radicalité scientifique, à son objectif de mener « une analyse qui examine les appréciations juridiques jusqu’à leur ultime supposition », Kelsen a besoin de la norme fondamentale et la conçoit (simplement) pour pouvoir maintenir jusqu’à sa conséquence ultime sa décision en faveur d’une conception normativiste-positiviste du droit.
Il en résulte sans doute une fonction et un effet significatifs pour la norme fondamentale. Elle n’incarne rien de moins que l’auto-référence radicale du droit positif, en rejetant la métaphysique et la psychologie, la raison et la nature comme fondement de la validité du droit. Mais la Grundnorm se réduit à cela. Toute lecture « active », qui va au-delà de cette fonction de rejet des éléments étrangers et de renvoi à soi-même, conduit nécessairement à des problèmes de consistance et de cohérence pour la théorie de Kelsen, et rencontre qui plus est le verdict typiquement kelsénien d’une « hypostase inacceptable d’un expédient de la pensée ». Les affirmations paradigmatiques de Kelsen à propos de « la mauvaise interprétation de la métaphore anthropomorphique » de la personne juridique sont transposables mutatis mutandis à l’interprétation « active » de la norme fondamentale sur laquelle repose l’hypostase de ce simple « expédient de la pensée scientifique » : il s’agit de « l’hypostase inadmissible d’un expédient de la pensée, d’un concept auxiliaire que la science du droit a construit en vue de simplifier et de rendre mieux perceptible la description de faits juridiques complexes. Non seulement une telle hypostase obscurcit les données qu’il s’agit de décrire, mais elle conduit également à des problèmes qui ne sont qu’apparents, et que la science s’efforce en vain de résoudre ». La métaphore de la « norme fondamentale » devrait ainsi être comprise pour ce qu’elle est : une image de langage pour un ultime fondement normatif pensé (!), et non pour une réalité normative. De la sorte on saisirait également qu’elle ne concerne que la validité du système en entier, et non des normes isolées. Enfin, on tiendrait ainsi compte du crédo de Kelsen, en vertu duquel une norme du droit positif ne peut trouver son fondement de validité que dans une norme du droit positif.
Matthias Jestaedt
Professeur à l’Albert-Ludwigs-Universität Freiburg.