Non-domination et participation : de quelques limites de la conception pettitienne de la liberté politique
Au début des années 2000, Philip Pettit publie une série de travaux donnant à voir que la démocratie délibérative est confrontée à un « dilemme discursif » qui met sérieusement à mal la rationalité du résultat des délibérations publiques, au moins pour celles d’entres elles qui dépendent logiquement de certaines prémisses indépendantes. Dans pareils cas, affirme-t-il, il y a de grandes chances qu’une décision collective aille à l’encontre des préférences individuelles manifestées par les réponses données à chacune des prémisses.
Le dilemme en l’occurrence est précisément le suivant : soit l’on « individualise les raisons », ainsi que l’affirme Pettit, et l’on aura ainsi rendu justice aux préférences des uns et des autres à l’intérieur d’un choix proprement collectif. Mais ce faisant, l’on aura pris un risque important, celui de trancher en faveur d’une décision irrationnelle. À l’inverse, en « collectivisant les raisons », on se sera prémuni contre un choix irrationnel, mais on aura pris le risque de ne pas avoir été à l’écoute des individus. D’après Pettit, la solution réside dans un mélange des deux, à condition d’y intégrer un élément typiquement républicain, celui de la contestation. On obtient alors le modèle suivant : priorité accordée à la décision collective, c’est-à-dire à la décision finale, avec la possibilité pour les membres du groupe qui se sentent lésés ou incompris d’exiger des autres de justifier le choix entériné, notamment de se prononcer, en usant de raisons susceptibles d’être entendues, sur la validation du modèle disjonctif ou conjonctif.
Néanmoins, et à la faveur de la généralisation dudit dilemme à la sphère proprement politique, se met progressivement en place, dans l’esprit du philosophe, l’idée selon laquelle ce paradoxe discursif ne serait qu’un symptôme d’un « mal » autrement plus profond, mal qu’on pourrait résumer de la manière suivante : si les protagonistes doivent revenir à chaque fois sur les décisions prises par les représentants du groupe pour les amender, ou, pour les reconstruire ou les interpréter, selon les mots de Pettit, c’est bien qu’il doit aussi y avoir un défaut de représentation : il y a de grandes chances que ceux qui parlent au nom du groupe ne soient pas en adéquation avec ceux qu’ils représentent, d’où cette incohérence entre les jugements individuels et le jugement final. Comment corriger ce déficit de représentativité ? C’est là la véritable question.
Pettit va alors développer une théorie bicéphale de la représentation – dans l’esprit de ce qu’on peut lire chez John Stuart Mill – et, par voie de conséquence, de la démocratie. À la représentation classique, traditionnelle, qualifiée de « réceptive », le philosophe va adjoindre une représentation dite indicative, chargée de compenser les insuffisances de la première. Mon propos sera précisément d’esquisser ce que je crois être les limites de cette double vision de la représentation donnant à voir, en substance, le hiatus existant entre le parti-pris républicain d’une défense sans concession de la liberté comme non-domination et la réalité d’une conception finalement relativement libérale de la démocratie.
Le problème de la représentation reconsidéré
Commençons par brosser à grands traits la manière dont Pettit envisage la représentation. Il présente une typologie assez intéressante qui s’appuie sur les travaux de Quentin Skinner. Il commence ainsi par distinguer ce qu’il appelle « représentation réceptive » (responsive representation), et qui n’est pas autre chose que la représentation classique. Pettit nous explique néanmoins qu’elle peut se concevoir de deux manières, suivant le degré de représentativité : plus le représentant aura de marge de manœuvre, plus il sera assimilé à un trustee, autrement, on parlera de délégué (delegate). Pettit suit ici, on l’aura reconnu, l’analyse classique de Pitkin : le trustee joue le rôle de porte-parole (spokeperson) tandis que le délégué sera considéré comme le « larynx » (voicebox) du représenté, selon une réinterprétation toute pettitienne de la figure du ventriloque, collant au plus près de la représentation de son mandataire jusqu’à en devenir non pas simplement le porte-voix, mais la voix stricto sensu.
Pratiquement, explique le philosophe, la représentation en miroir, matérialisée par la figure du délégué et incarnée dans la métaphore de l’avocat, est un mythe. Nous ne pouvons prétendre qu’à être représentés par des porte-paroles et à ce titre, la métaphore de l’acteur, qui choisit de donner plus ou moins d’importance, plus ou moins de relief, à telle ou telle composante du personnage dont il endosse la personnalité, est celle qui convient le mieux. Mais bien évidemment, rien ne garantit que les décisions prises par les trustees correspondent aux vœux et aux attentes des personnes ou des groupes représentés : le dilemme discursif en est, comme on l’a vu, une bonne illustration. Encore une fois, si l’on est contraint de faire retour sur les jugements finaux pour les « reconstruire » ou les « interpréter », c’est bien aussi qu’il y a un problème au niveau de la représentation.
Néanmoins, une porte de sortie est envisageable à condition d’intégrer un autre type de représentation, la représentation « indicative », et d’en tirer les enseignements qui s’imposent. Pettit déplore en effet que les débats se soient concentrés autour de la pertinence de l’une ou l’autre figure « réceptive » en négligeant la représentation dite indicative. Ni juridique, ni théâtrale, c’est cette fois-ci la métaphore picturale qui rend le mieux compte de ce type de représentation : les représentants seront dits représenter les représentés de la même manière qu’un un tableau figuratif représente la réalité, savoir à un titre indicatif. Pettit fait remonter la représentation indicative à la démocratie athénienne et à son système de tirage au sort mais en retrouve également la trace dans les républiques italiennes du XIIe et XIIIe siècle, notamment avec la figure du podesta, sorte d’administrateur recruté pour une courte période en charge des affaires de la cité. Le système médiéval du jury est également un bon exemple de ce à quoi peut ressembler la représentation indicative, véritable complément à la démocratie représentative électorale traditionnelle, amendant ses déficits et contrebalançant une certaine forme d’arbitraire.
Mais comment distinguer précisément entre représentation réceptive et représentation indicative ?
« Dans la représentation réceptive, écrit Pettit, le fait que j’ai un certain état d’esprit me donne des raisons d’espérer que mon député sera sur la même longueur d’onde que moi. Dans la représentation indicative, c’est exactement l’inverse qui se passe. Le fait que mon mandataire (proxy) ait un certain état d’esprit me donne des raisons d’espérer que je partage ses orientations ».
Pour le dire autrement, il ne saurait y avoir, dans ce système indicatif, de lien de causalité entre les souhaits, vœux, valeurs et autres intérêts du représenté, et les décisions prises par le représentant ; il s’agirait bien plutôt, selon le mot de Pettit, de trouver dans les attitudes et les prises de positions du représentant quelque chose de l’ordre du « signe manifeste » (evidential sign) de la présence de son mandataire.
Méritocratie et représentation indicative
Une question demeure toutefois en suspens, qui concerne les modalités de sélection de ces représentants indicatifs : comment les choisir ? La réponse de Pettit se trouve dans son dernier travail autour de la représentation méritocratique, travail où il explique en substance que les « représentants indicatifs » seront les plus méritants d’une population donnée. Et Pettit d’ajouter que l’on peut très bien envisager un représentant indicatif qui ne soit pas, au sens strict du terme, représentatif d’un groupe (dans le cas d’une hétérogénéité plus ou moins importante de celui-ci), tout en étant tout « au diapason » de la collectivité. Cette « similitude opérationnelle » est, note-t-il, beaucoup plus significative qu’une simple « similitude au niveau de la composition du groupe ».
Pettit en vient ainsi à distinguer trois autorités « méritocratiques » jouissant du statut de représentant indicatif, composées de membres totalement indépendants. On aura ainsi, d’abord, une autorité dite contestataire chargée de relayer les critiques visant le gouvernement. Celle-ci comprend le vérificateur général attaché aux contrôle des finances publiques, le ministre de la justice doté du pouvoir d’inculper les membres du gouvernement pour malversation, un certain nombre médiateurs officiels ayant pour tâche d’écouter les citoyens et de formuler un certain nombre de réclamations ou de plaintes concernant le secteur administratif en général, et, ajoute Pettit, tout agent chargé de pointer les insuffisances et autres manquements du gouvernement, notamment en matière de respect des quotas et d’égalité des chances.
Vient ensuite l’autorité judiciaire à proprement parler, chargée d’enregistrer les plaintes émanant des citoyens et qui comprend, naturellement, les juges des différentes cours ainsi que les fonctionnaires officiant à l’intérieur des tribunaux.
Enfin, une autorité dite exécutive chargée des tâches que les membres du gouvernement, en raison de conflits d’intérêts supposés, ne pourraient mener à bien. Elle comprend les commissaires électoraux, les hauts fonctionnaires de la Banque centrale, et à leur tête, naturellement, son gouverneur. Elle comprend également cet organisme indépendant qui s’occupe de répertorier crimes et châtiments, offrant ainsi une sorte de guide pour les juges et qu’on appelle, du moins aux États-Unis, la Sentencing Commission, ainsi que des statisticiens, officiant dans des domaines sensibles et délicats, comme l’économie ou la justice.
Parce que toutes ces personnes agissent au nom du peuple, et ont pour objectif essentiel et unique de mettre le gouvernement et les élus devant leurs responsabilités, on ne saurait attendre d’elles, explique en substance Pettit, qu’elles se comportent comme des députés qui, de fait, ne sont les porte-paroles que de ceux qui les ont choisis. Quant à ceux qui critiqueraient l’excès d’autonomie dont jouissent ces représentants indicatifs, le philosophe répond qu’il faut garder à l’esprit la bicéphalie essentielle du système : si les représentants indicatifs contrôlent et sanctionnent, le cas échéant, le gouvernement, émanation indirecte des urnes, ce dernier n’en a pas moins la possibilité, mais aussi le devoir, de dénoncer les manquements des premiers. Au demeurant, Pettit affirmait déjà en 2009 que l’on pourrait tout à fait imaginer une procédure de contrôle des mandataires qui aboutirait, le cas échéant, à démettre de leurs fonctions ceux d’entre eux qui n’accompliraient pas correctement leur tâche – chose naturellement impossible dans la députation classique, sauf à attendre la sanction des élections à venir –, tandis que les représentants réceptifs, eux, seraient soumis au contrôle de « la raison publique ». Avec cette démocratie bicéphale, soutient Pettit, nous aurions, à tout le moins, de bonnes chances d’asseoir la liberté comme non-domination.
La question qui se pose toutefois à ce niveau est bien évidemment la suivante : la représentation méritocratique indicative permet-elle de contrebalancer efficacement le déficit de la représentation réceptive électorale classique ?
Limites
Les limites de l’analyse de Pettit apparaissent assez rapidement, s’agissant aussi bien de sa vision de la représentation indicative (1), que de sa « reformulation » de la représentation réceptive classique (2).
1/ Je commence, comme de juste, par le premier point. La faiblesse du concept de représentation indicative tient d’abord, à mon sens, à son caractère extrêmement lâche. Il est ainsi tout à fait révélateur que Pettit se retrouve à employer des formulations relativement équivoques comme « avoir le statut de représentant indicatif », comme s’il s’agissait finalement d’une simple qualité et donc de quelque chose qui viendrait s’ajouter accessoirement. Et c’est effectivement ce qui se passe. Ainsi, par exemple, le gouverneur de la Banque centrale est d’abord gouverneur ; on peut, au vu de l’importance de son poste, et c’est un euphémisme, affirmer qu’il travaille dans l’intérêt du peuple. Mais on pourrait en dire autant d’un très grand nombre de personnes, qui ne se situent pas dans les trois sphères décrites par Pettit.
Cela ne semble pas gêner le philosophe qui explique que tout délateur qui dénonce publiquement les malversations dont il a été témoin a ce statut de représentant indicatif. Mais plus on élargit le concept, plus la notion de mérite se dissout pour finir par disparaître complètement. À moins de reconnaître que la compétence dont il s’agit ici concerne la capacité à débusquer les fraudeurs et autres responsables corrompus, on voit assez mal comment coupler mérite et représentation.
Il me semble que cette difficulté essentielle à conjuguer mérite et représentation tient à la réalité même de la représentation indicative telle que Pettit pouvait la concevoir en 2009-2010 avant d’introduire la notion de mérite. Il apparaît en effet que le concept de représentation indicative recouvrait alors très exactement une variante de ce qu’on a coutume d’appeler démocratie participative, par laquelle on entend un type particulier de structures où serait réuni un certain nombre de citoyens dit « ordinaires » à qui l’on demanderait leur opinion sur des sujets bien déterminés. Tout se passe comme si on faisait un sondage sur une question pratique : en interrogeant un échantillon représentatif de la population, les « décideurs », c’est-à-dire les responsables politiques, ont plus de chance de prendre les « bonnes » mesures. Ces consultations populaires peuvent les aider à prendre une décision sur laquelle ils hésitaient, ou au contraire, à exclure définitivement une option, voire à envisager les choses sous un angle auquel ils n’avaient pas pensé.
C’est très exactement ces « jurys citoyens », relativement répandus de nos jours, que Pettit avait initialement en tête. C’est ainsi qu’il cite d’ailleurs nommément James Fishkin, à l’origine du sondage délibératif, ainsi qu’un certain nombre de « consultations populaires » comme celle qui a eu lieu en Colombie britannique en 2004 autour des amendements à apporter au système électoral en vigueur. Effectivement, dans la démocratie participative ainsi conçue, le mérite n’entre pas en ligne de compte.
Pour prendre réellement au sérieux l’idée de mérite, Pettit n’a finalement pas d’autre choix que de renoncer à la démocratie participative, la démocratie des citoyens ordinaires. C’est ainsi que s’explique sa typologie des trois autorités qui doit se comprendre comme une « professionnalisation » de la représentation indicative où juges, ministre de la justice, commissaire électoral ont le statut de représentant indicatif. C’est aussi ainsi que peut se comprendre, au détour d’une page, la distinction faite par Pettit entre démocratie et demopraxis : dans la mesure où tout le monde ne peut activement participer au processus démocratique, il faut accepter que l’audit exercé sur le gouvernement le soit par une minorité qualifiée. Il y a là, à n’en pas douter, une prise de distance par rapport à un certain républicanisme classique et à sa promotion de la démocratie directe.
2/ Venons-en à présent à l’idée selon laquelle les députés, ou trustees, ou encore représentants réceptifs seraient soumis au contrôle de la « raison publique », ou plus exactement des « raisons publiques », pour contrebalancer l’impasse devant laquelle nous met le dilemme discursif. Ainsi, explique Pettit :
« Toute proposition gouvernementale doit être fondée sur un type particulier de considérations, celui que tout un chacun reconnaît comme pertinent, sachant que le degré estimé de pertinence peut varier d’un individu à un autre. »
C’est précisément sur cette vision rawlsienne des choses, explicitement formulée, que s’appuie le raisonnement de Pettit. En effet, face au dilemme discursif, une seule solution est envisageable : revoir la décision finale et réévaluer les prémisses à l’aune d’un certain nombre de principes communément admis par tous, que Pettit appelle « lieux communs » et qui sont, de par le fait, « des propositions que presque tout le monde admet tout en attendant de tout un chacun qu’il les admette et ainsi de suite », acquérant ainsi le statut d’évidences inférentielles par le jeu d’une routine discursive publique. On aura reconnu ici l’influence de Rawls, l’aspect dynamico-dialectique en plus, tant ce lot de « raisons communes » fait écho aux « idées fondamentales et implicites contenues dans la culture politique d’une société bien ordonnée » – une filiation que Pettit reconnaît tout à fait, se plaisant à voir dans ces dernières un « proche cousin » de ses propres lieux communs. Ainsi, en dernière instance, tout le monde se retrouve avec le minimum syndical d’outils discursifs, un panel qui a fait ses preuves et dont le public éclairé peut se servir à loisir pour mettre ses représentants devant leurs responsabilités.
C’est ainsi qu’on aboutit à une description assez manichéenne de la réalité : ceux qui ne partagent pas ces « lieux communs », ces « présuppositions fondamentales » sont nécessairement des « rebelles », des « dévots » ou alors, plus simplement, des individus qui « ne satisfont pas aux exigences d’une vie publique commune ». Quoi qu’il en soit, ce ne sont là que des cas isolés dont il ne faut précisément pas faire grand cas.
Cette vision homogénéisée et homogénéisante, voire aseptisée de la société, conduit Pettit à affirmer que « personne, dans une société particulière et à une époque donnée, ne peut sérieusement se plaindre d’avoir été traité conformément à des principes profondément ancrés dans son propre milieu ». Autant une telle vision des choses peut avoir une réelle pertinence dans le contexte de l’État-nation moderne, autant elle perd singulièrement de sa force au sein de la « constellation postnationale ». De quel « milieu » Pettit parle-t-il au juste ? Le problème est précisément que bon nombre de personnes, dans les sociétés libérales démocratiques aujourd’hui, sont traitées selon des principes qu’elles ne reconnaissent pas comme étant les leurs et qu’il semble un peu court d’en appeler à l’universalité des principes ou, selon le mot de Pettit, au pouvoir fédérateur des lieux communs pour résoudre le problème. Opposant la « société comme tout » aux « sous-cultures » particulières, le philosophe a cette remarque très peu républicaine, jusque dans le style hypothétique :
« Dans la mesure où le peuple prend effectivement part au débat public – débat qui est supposé dépasser les divisions sectaires –, il doit éviter d’invoquer ces lieux communs plus locaux ; il faut [...] qu’il s’appuie sur des présuppositions reconnues par toutes les parties en présence. »
Nous sommes là, à n’en pas douter, en présence d’une rhétorique classiquement libérale que n’auraient niée ni Rawls, ni Habermas, d’autant que Pettit va jusqu’à poser l’identité de ces lieux communs et du bien commun, en espérant nous faire croire qu’il demeure fidèle au républicanisme classique : « Le rôle que le bien commun ou l’intérêt public joue dans la doctrine républicaine traditionnelle peut plausiblement être assigné au lot de lieux communs dont nous sommes en train de parler ». Ou comment la tentation procédurale finit par atteindre au discours lui-même.
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Il est intéressant de remarquer ici l’évolution de Pettit qui, dans les années 1990, posait son républicanisme comme l’unique alternative au libéralisme, et qui se retrouve, à la fin des années 2000, à le vider progressivement de sa substance : le concept de liberté comme non-domination, pourtant prometteur, n’est exploité que dans le cadre de problématiques libérales, l’idée de contestation aboutit à la promotion d’un idéal relativement tiède, mais aussi obsolète, celui d’une démocratie délibérative somme toute libérale alors qu’on aurait plutôt attendu d’une théorie prônant la contestation contre le consensus et récusant l’arbitraire sous sa forme la plus infime qu’elle nous offre les moyens de comprendre ce que signifie la liberté politique dans les sociétés contemporaines, des sociétés différenciées où il est extrêmement difficile, comme le soutient Richard Bellamy, de trouver ne serait-ce qu’une seule raison qui n’entre pas en conflit avec une autre. Mais rien de tout cela chez Pettit, dont la réflexion semble se développer en marge de la mondialisation et de ses problèmes.
Il apparaît que malgré la pertinence de ses analyses sur l’insuffisance de la légitimité procédurale, Pettit laisse entier le problème de l’accès et de la participation effective à cet espace public singulier tout comme le problème de la représentation des minorités, du point de vue de la lutte pour le pouvoir et du rapport de forces intra-communautaires, précisément parce qu’il ne s’intéresse qu’au processus délibératif en tant que tel. Ce faisant, il demeure prisonnier d’une manière de poser les problèmes toute libérale, consistant à vouloir rechercher et circonscrire un « intérêt commun » sans prendre véritablement au sérieux l’idée que l’on puisse être évincé du débat public ou se faire confisquer la parole.