Savigny et la lecture des classiques
Lorsque Olivier Beaud m’a demandé de participer à cette journée « Savigny », pour rendre spécialement hommage au traducteur de De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit, le professeur Alfred Dufour, le thème de mon intervention s’est imposé comme de lui-même. Grâce à sa magnifique et savante traduction, Alfred Dufour a donné au public francophone la possibilité enfin – après deux cents ans presque ! – de lire un classique . De lire un monument de la science et de la pensée juridiques européennes. Or ce classique-là, Savigny, aimait à lire ses classiques. Raison – nécessaire mais non suffisante – pour laquelle, peut-être, il devint lui-même un classique. Raison pour laquelle, certainement, il s’inscrit dans la tradition des grands juristes européens, car un juriste peut-il avoir quelque grandeur ou ampleur s’il ne s’est lui-même confronté pensivement aux textes d’autres grands juristes, s’il ne cherche à toute force à s’immiscer dans la longue chaîne de la communication spirituelle que forment les juristes « classiques ». Communication intellectuelle ou spirituelle, « geistige Vermittlung » : c’est là, pour Savigny, le ressort de tout enseignement universitaire digne de ce nom, parole qui remonte comme d’un monde perdu . Oui, nous ne sommes que des passeurs, de grands ou petits communicateurs ; encore faut-il que nous prenions garde à ce que l’on passe et communique, et à ce que l’on retient. Le traducteur, c’est-à-dire le traducteur-traducteur celui qui pratique l’Übersetzen (le traduire, mais aussi par son autre sens allemand : celui qui fait passer sur l’autre rive) et non le traducteur-interprète, celui qui pratique le Dolmetschen, la traduction simultanée et immédiate, « mécanique » dirait sans doute Savigny, le traducteur véritable donc participe évidemment à cette communication des esprits en s’élevant au-dessus du Dolmetscher, pour atteindre « jusqu’à son domaine le plus propre, celui des produits spirituels de l’art et de la science, écrit Schleiermacher , dans lesquels d’une part la libre et propre faculté combinatoire de l’auteur, et d’autre part l’esprit de la langue, avec son système défini de perception et sa capacité de nuancer les dispositions de l’âme, sont tout ; dans lesquels l’objet ne domine plus, mais est dominé par la pensée et la sensibilité, voire n’existe fréquemment que dans et par le discours ». La traduction, se demande encore Schleiermacher dans ce texte magnifique de 1813, Des différentes méthodes du traduire, « n’apparaît-elle pas comme une entreprise un peu folle » ? Car « tout discours libre et supérieur » – et le discours savignicien est certainement un tel discours « libre et supérieur » – « demande à être saisi sur un double mode, d’une part à partir de l’esprit de la langue elle-même dont les éléments le composent, comme une exposition marquée et conditionnée par cet esprit, engendrée et vivifiée par lui dans l’être parlant » – et l’on retrouve ici un thème qui irrigue la nouvelle linguistique de l’époque, jusque dans les travaux de Wilhelm von Humboldt sur le Kavi, en 1836 : « La langue est, si l’on veut, le phénomène extérieur de l’esprit des peuples ; leur langue est leur esprit et leur esprit leur langue : on ne saurait jamais assez en penser l’identité profonde » ; mais d’autre part, reprend Schleirmacher, tout discours libre et supérieur demande en même temps « à être saisi à partir de la sensibilité de celui qui le produit comme une œuvre sienne, qui ne peut surgir et s’expliquer qu’à partir de sa manière d’être ». Pour que les lecteurs de la traduction puissent « comprendre » le discours original, sinon le texte, « ils doivent saisir l’esprit de la langue qui est la langue natale de l’écrivain, poursuit Schleiermacher, ils doivent pouvoir intuitionner sa façon de penser et de sentir ; et pour parvenir aux deux choses, il [le traducteur] ne peut leur offrir que sa propre langue, qui ne coïncide jamais pleinement avec l’autre, et que lui-même, avec sa connaissance plus ou moins claire de l’auteur, avec l’admiration et l’approbation plus ou moins grande qu’il lui voue ». Cette entreprise un peu folle qu’est la traduction, on ne peut la réaliser pleinement que de deux manières, mais pour Schleiermacher, chacune de ces deux manières possède une parfaite légitimité, l’une n’est pas préférable à l’autre : « Ou bien le traducteur laisse l’écrivain en paix, le plus possible, et fait que le lecteur aille à sa rencontre, ou bien il laisse le lecteur en paix, le plus possible, et fait que l’écrivain aille à sa rencontre ». Le traducteur est le passeur et il peut soit faire passer l’écrivain sur la rive du lecteur – c’est-à-dire dans le monde culturel du lecteur et il acclimate le discours originaire dans l’esprit de la langue de réception – soit faire passer le lecteur sur la rive de l’écrivain, embarquer, malgré l’hétérogénéité spirituelle des langues, le lecteur dans le monde culturel de l’écrivain et ainsi le dépayser. Cette distinction des deux modes du traduire, qui en sont les idéaltypes sans doute jamais pleinement réalisable, qu’on trouverait aussi chez Humboldt, a été par la suite largement thématisée et fait partie des notions communes de la science de la traduction. La traduction peut suivre un modèle « source-oriented » ou « target-oriented ». En vérité, dans l’acte concret de traduire, même si celui-ci oriente sa traduction globalement selon l’un ou l’autre modèle, le traducteur est toujours, à chaque phrase, en situation de négociation comme le dit Umberto Ecco . La traduction comme communication spirituelle ou transmission culturelle est toujours aussi un acte de transaction entre deux mondes, et donc aussi toujours, aussi scrupuleuse et aussi « fidèle » soit-elle, une sorte de trahison, à tout le moins le résultat d’un compromis, même s’il est fait, chez le grand ou le bon traducteur, sans compromission. J’ai le sentiment qu’Alfred Dufour a plutôt pris le premier de ces deux partis, adopté grosso modo le modèle « target-oriented ». Il fait venir Savigny à nous. La perfection de la langue française qui caractérise la traduction nous rend ainsi un peu paresseux : on nous laisse – le plus possible – en paix, chez nous, auprès de nous. Encore une fois, c’est un parti pris de traducteur absolument irréprochable. Bien sûr il y a de la négociation, et du compromis, sans compromission, de la bonne trahison, parce que – il faut le dire ici – Alfred Dufour est un grand traducteur de Savigny. Sa fidélité spécifique à Savigny et à son texte s’exprime en ceci que, dans la traduction, dans le De la vocation d’Alfred Dufour, la langue est magnifique comme l’est la langue allemande de Savigny, dans son Vom Beruf. On prendra ici un passage du Vom Beruf pour en faire le point de départ des brèves remarques qui suivront. C’est un passage du chapitre 8, intitulé, dans la traduction Dufour : « De ce que nous devons faire là où il n’y a pas de Code ». Il faut résumer d’abord ce chapitre, car on ne saurait aller directement à ce passage sans emprunter d’abord au moins une partie du chemin du livre. Le mot « passage » quand on l’emploie pour dire un « extrait » de texte souligne bien qu’il se situe sur un chemin de pensée et de discours. Donc les prodromes indispensables . Là où il n’y a pas de Code, selon Savigny que je paraphraserai et commenterai en passant, il faut tenir l’ancienne combinaison d’un droit commun et des droits locaux pour une source du droit suffisante et même « excellente » si, toutefois, « la science juridique fait ce qui lui incombe et ce qu’elle est seule à pouvoir faire ». Il s’agit pourtant d’une matière foisonnante qu’on a peine à maîtriser, une masse de concepts et opinions juridiques accumulés par les générations. Elle nous maîtrise, nous « presse », nous « enveloppe » et nous « conditionne », souvent même « à notre insu », situation apparemment défavorable à la science, d’où cet appel au Code et à sa puissance d’arasement : on « songe à l’anéantir en tentant de rompre tous les liens de la culture et en commençant une vie toute nouvelle ». Cette tentation de refaire sa vie qui agite toujours et les peuples et les hommes. Mais cette manière de voir, qui repose sur ce que Savigny appellera, dans le texte qui, en 1815, inaugure la Revue pour la science historique du droit, l’ « égoïsme historique », n’est qu’une illusion : nul ne peut faire qu’il ne soit pas ce qu’il est, à savoir une « individualité » d’un côté – ce mot d’individualité est très fort chez Savigny, ce qui est « individuel » est, dans le lexique polarisé de l’auteur de De la Vocation, connoté très positivement – mais en même temps le membre de communautés plus vastes qui l’inscrivent précisément dans une histoire et une culture. Car sans elles, il serait seulement livré à sa propre biographie. Un mot à ce sujet : dans la pensée « organique » de Savigny – mais c’est un bien commun du mouvement romantique et de la pensée post-kantienne – il s’agit de distinguer des niveaux, des structures, des fonctions mais sans les penser séparément. C’est pourquoi l’individuel et le tout doivent se distinguer comme deux niveaux d’être sans toutefois être séparés, pensés séparément. Autrement dit, l’individuel ne saurait être vraiment individuel – c’est-à-dire être le bon individuel – s’il se considère comme détaché, et déchaîné hors ou contre sa communauté ; mais en retour, la communauté ne peut être la bonne communauté si elle ne reconnaît pas et ne donne pas à l’individuel les moyens de sa satisfaction et de son épanouissement. L’individuel n’est pas l’égoïste : or le Code est expression de l’égoïsme historique. De toute façon, comme on l’a dit, l’égoïsme historique est une illusion. Le plus égoïste, Gönner par exemple – le plus agressif parmi les ennemis de Savigny, mais pas le plus subtil – qui pourrait bien un jour comprendre enfin que « avec tout ce qu’il pense, écrit et ignore, il vit lui aussi dans l’histoire, qu’il est lui aussi un fait historique et qu’il est donc lui aussi dépendant de toutes ces influences qu’on évoquait plus haut » mais alors « son étonnement sera semblable à l’étonnement fameux de Monsieur Jourdain, lorsque celui-ci s’aperçut, à un âge déjà avancé, qu’il avait fait de la prose toute sa vie ». On fera un code égoïste, peut-être, mais « l’orientation des idées, les questions posées et les problèmes à résoudre seront là encore conditionnés par la situation de fait de l’époque précédente, et l’empire du passé sur le présent pourra se manifester, même là où le présent s’oppose délibérément au passé. » L’égoïste historique n’est pas celui qui se libère du passé, mais celui qui se rend inconscient à cet empire du passé. L’individu organique, comme type antonyme à celui de l’égoïste historique, n’est pas du tout, de la même manière, celui qui se soumet au passé ou s’adonne à sa répétition mimétique, conservateur en chef d’un passé indistinct : l’histoire n’est pas seulement un passé. L’individu organique est celui qui se rend conscient de cet empire du passé et qui est donc capable d’une plus grande liberté à son égard, une liberté qui n’est pas un abandon ni un détachement, mais une capacité de travailler avec et sur le passé. Ce que la reconnaissance de ce poids de l’histoire nous permet de libérer, c’est une « vigoureuse énergie créatrice » pour nous « opposer » à la domination de ce passé, se donner la possibilité de nous « rendre maître » de ce passé qui nous constitue : « Nous n’avons donc pas d’autre choix, écrit Savigny, que de discourir, selon l’expression de Bacon, « comme du fond d’une prison », ou bien d’apprendre par une étude approfondie de la science du droit à nous servir en toute liberté de cette matière historique comme d’un instrument de travail : il n’y a pas de troisième terme. » Je ne peux y insister ici davantage mais je voudrais toutefois souligner ce motif tout à fait remarquable par l’écho qu’il fait à la pensée post-kantienne comme à la pensée romantique – qui est évidemment tout autre chose qu’une célébration exaltée du sentimental et du fusionnel – et dans lequel l’on voit que c’est par le travail de la conscience et par la prise de conscience de soi que l’on peut pleinement rejoindre ce point – que désigne dans toute son œuvre Schelling par exemple – à savoir ce point où liberté et nécessité se rejoignent : si je n’étais le fruit de la nécessité historique, je ne pourrais pas même être libre ; mais nier la nécessité, ce n’est pas se rendre libre, aveugle seulement. Ici passe très précisément la différence que fait Savigny et qui est chez lui capitale entre l’arbitraire – illusion d’une liberté sans nécessité – et la liberté. Seul le « sens historique » nous préserve donc de cette illusion qui nous livre à l’arbitraire ou par laquelle – ce qui au fond revient exactement au même pour Savigny – « nous tenons en fait ce qui nous est propre pour commun à la nature humaine en général », tendance qui explique cette élévation que l’on fait aisément de son droit ou de son opinion juridique pour les déclarer « purement rationnels », et pour voir dans les Institutes, par exemple, « l’expression immédiate de la raison » : « Sitôt que nous ne sommes plus conscients de notre relation individuelle avec la grande totalité du monde et de son histoire, nous ne pouvons nous empêcher de voir nos pensées dans une fallacieuse lumière d’universalité et d’originalité. » L’égoïste est aussi, toujours, un fat. Le sens historique est notre refuge, mais il est difficile, « son application la plus difficile étant de le tourner contre nous-mêmes » : il est difficile d’accorder la conscience de soi à la conscience du monde et de considérer donc sa liberté non comme un absolu – arbitraire – mais comme un conditionné (liberté authentique), de saisir son individualité comme « limitée », ce qui vaut mieux que de se dissoudre dans l’ « universalité indéfinie ». La conscience historique est conscience d’une finitude insurmontable mais qui doit être assumée. Elle participe et même fait la condition de possibilité d’une conscience de soi authentique qui libère de la fausse conscience qu’est la conscience de soi de l’égoïste historique. C’est pourquoi elle met aussi le sujet historique conscient de soi au travail, car la conscience, l’esprit, le sujet, dans la philosophie du post-kantisme, chez Fichte comme chez Schelling ou même Hegel, sont essentiellement activité, travail . On voit ici aussi comme le sens historique et donc l’histoire de l’École historique ne vise pas, dans son principe même, à établir les événements du passé comme ce que Savigny appellera – pour caractériser une conception de l’histoire qu’il rejette radicalement – des « collections d’exemples moraux et politiques ». L’histoire n’est pas récit édifiant – une idée tellement commune, un lieu commun qui considère que « le but de l’histoire, aussi bien que de la poésie, doit être d’enseigner la prudence et la vertu par des exemples, et puis de montrer le vice d’une manière qui en donne de l’aversion, et qui porte ou serve à l’éviter » (Leibniz, Théodicée, §148) . L’histoire n’est pas davantage – contrairement à la tradition « pragmatique » de l’école de Göttingen – dans l’explication, par leurs causes extérieures, des événements. Ce sont deux visions « externes » de l’histoire : dans la première, elle est récit édifiant, elle sermonne et appelle à la condamnation ou bien à la reproduction mimétique ; dans la seconde, il y a rabattement de l’historique sur le mécanique dans la catégorie de la causalité. Aucune de ces deux manières alors répandues de faire de l’histoire ne travaillent à même ce rapport de soi à soi, sur cette combinaison de la conscience de soi et de la conscience du tout dont je fais partie. Une histoire du droit n’est donc aucunement un récit édifiant, ni une explication causale, externe, des modifications du droit, mais histoire d’une conscience dont l’historien participe et qui est le siège même du droit, la conscience d’un peuple. Ce faisant, parce que la conscience historique du juriste, historisant à la manière de Savigny, n’est qu’un élément de la conscience de soi de ce juriste, cette dernière participe de la même façon à la conscience juridique dans laquelle il s’inscrit et le droit comme objet n’est pas extérieur au sujet de la connaissance, ce qui à mon sens permet d’expliquer pourquoi, dans la société différenciée, complexe, le droit est désormais pour Savigny « l’affaire de la conscience des juristes », sans que ces juristes, sans doute « ordre à part » dans la société, ne forment un corps entièrement séparé du peuple, mais que, au contraire, ce corps puisse « représenter » ce peuple dans sa « fonction », son « activité » (de conscience) juridiques. Telle est la représentation fondamentale qui, selon Savigny, doit gouverner le juriste dans la manière de développer sa science. L’on comprend aussi pourquoi l’école historique du droit ne se proclame pas une école de l’histoire du droit, mais l’école d’une science historique du droit. Il n’y a pas de séparation possible entre aujourd’hui et hier ; aujourd’hui est la reprise réflexive et pensive d’hier et la dogmatique du droit actuel, du « droit romain actuel » par exemple, ne peut autrement se faire que par cette réflexion de l’histoire et du passé, parce que « actuel » est encore et toujours dans l’histoire. Si je reviens au fil de ce chapitre 8 on peut comprendre à partir de ces remarques liminaires d’ordre très général pourquoi cette combinaison spécifique du droit commun et du droit local qu’on trouve en Allemagne doit être regardée comme la meilleure des sources du droit si – et seulement si – la « rigoureuse méthode historique de la science juridique » est appliquée à cet objet. Et cette méthode, bien comprise, ne consiste ni « dans une exaltation exclusive du droit romain », ni « dans la prétention à la conservation inconditionnelle d’une quelconque matière donnée, ce qu’elle veut tout au contraire éviter ». Cette méthode – et ici Savigny décrit, métaphoriquement sans doute, mais décrit la méthode historique du droit –, « cette méthode tend bien plutôt à remonter jusqu’à la racine d’une matière donnée pour mettre ainsi au jour son principe organique, par lequel ce qui est encore en vie se détache de soi-même de ce qui est déjà mort et n’appartient plus qu’à l’histoire. » Dans le texte de 1815, en écho à ce propos, toujours dans le registre métaphorique de la vie et de la fraîcheur par rapport à ce qui est mort et asséché, Savigny y insiste : « L’activité bien avisée de chaque époque [si elle entend ne pas s’adonner aux délices mortifères de l’égoïsme historique] devrait être destinée à déchiffrer, rajeunir et rafraîchir cette matière donnée avec nécessité interne ». Il ne s’agit pas de tout conserver : le droit, cela s’entretient comme on fait son jardin, en enlevant les mauvaises herbes et les branches mortes. Ce serait peut-être le penchant naturel de celui qui ne voit dans l’activité du juriste que travail d’exégèse, philologie sèche. Mais précisément : d’une part, à l’époque de Savigny, la philologie connaît une mutation considérable, Friedrich August Wolf appelant, dans un texte programmatique que connaissait Savigny, à passer de la vision classique de la philologie à une discipline nouvelle, les « Sciences de l’Antiquité » (comme Savigny entend abandonner le terrain de l’ancienne Jurisprudenz pour fonder une véritable « science du droit ») ; d’autre part, cette science du droit, aussi historique soit-elle, n’est jamais pensée comme s’épuisant dans son « élément » exégétique, elle est en même temps « philosophique », ou « systématique » et surtout elle est proprement « organique », si elle réussit à concilier et combiner en une unité plus haute son élément exégétique et son élément philosophique. C’est un leitmotiv chez Savigny depuis les cours de méthodologie dispensés à Marbourg en 1802. Ici, dans ce passage du Vom Beruf, Savigny n’entend pas exposer dans le détail ce qu’il conçoit comme sa méthode de traitement historique du droit, il entend juste ajouter plusieurs choses relativement au traitement du droit romain puisque, dans l’appel à la codification, c’est lui qui a été principalement visé. La première chose que veut dire Savigny touche à la manière dont les anciens juristes, ceux qui ont transporté le droit romain à travers les siècles, doivent être étudiés. Et c’est ce passage qui m’intéresse plus spécialement. Tout ce qui vient d’être dit prépare en vérité au propos qui suit – qui sera bref mais pour moi important – et converge vers lui. Je vais le citer in extenso, dans la traduction d’Alfred Dufour, bien sûr : « Il est facile de dire comment il faut alors étudier les anciens juristes, encore qu’il soit difficile de l’illustrer sans en faire une démonstration effective ; ils ne doivent pas seulement être les gardiens de l’école, mais ils doivent être revivifiés : nous devons nous immerger dans leur œuvre et nous en pénétrer par la lecture et la méditation, comme pour d’autres auteurs lus avec intelligence ; nous devons nous familiariser avec leur mode de pensée et parvenir ainsi à penser de nous-même à leur manière et de leur point de vue et par là poursuivre en un certain sens leur travail interrompu. Que cela soit possible fait partie de mes convictions les plus vives. » Traduction parfaite en son genre, à savoir cette manière – négociée – de porter jusqu’à nous la parole de Savigny, d’en faire un auteur francophone. Je vais essayer maintenant de traduire de l’autre manière et, j’y insiste, ce n’est en aucune façon une critique – au sens négatif de ce mot, car c’est bien en vérité une « lecture critique » de cette traduction, mais au sens où Savigny lui-même précise ce qu’est une lecture « critique » et sur lequel il faudra revenir plus loin – de la « traduction Dufour » et d’ailleurs la mienne est beaucoup plus inélégante : elle va faire du lecteur – ici de l’auditeur – un lecteur/auditeur allemand mais non germanophone ! « Comment dès lors faut-il étudier les anciens juristes, cela on peut le dire facilement, même s’il est difficile d’en faire saisir l’intuition à celui qui n’en a pas fait l’expérience réelle : ils ne doivent pas seulement garder l’école, mais doivent être rendus à la vie : nous devons nous lire et nous penser jusqu’au-dedans d’eux, comme dans d’autres écrivains lus avec intelligence, nous devons apprendre d’eux leur manière et de la sorte en venir à inventer à partir de nous-même dans leur style et depuis leur point de vue et poursuivre ainsi, dans un certain sens, leur œuvre interrompue. » Le traducteur est celui qui trahit par fidélité. Cette deuxième traduction trahit la langue de Savigny, puisqu’elle est évidemment lourde et peu lisible ; elle n’est pas meilleure quant au sens que celle beaucoup plus élégante et lisible d’Alfred Dufour. Elle germanise l’auditeur, en insistant notamment sur les réflexifs : « Nous devons nous lire et nous penser jusqu’au-dedans d’eux ». Cela traduit aussi littéralement que possible l’original allemand qui, il est vrai, est un peu perdu dans l’élégance de la traduction Dufour : « Wir sollen – c’est un devoir moral, un « sollen » – uns in sie hinein lesen und denken. » Cette formulation, Savigny l’a forgée avec méticulosité, et il y tient. Il y tient tant, qu’on la retrouve, pratiquement à l’identique, dans deux autres textes au moins, pour autant que je n’ai laissé passer d’autres occurrences. Dans le manuscrit de son cours d’introduction aux Pandectes du semestre d’hiver 1813-1814 et l’on peut penser que dans le Vom Beruf, comme il le fait régulièrement, Savigny recycle et retravaille cela même qu’il expose en cours : « Qui veut apprendre à connaître la vie et le caractère d’un homme remarquable doit sans doute connaître un ensemble de faits, et il peut à cette fin utiliser des documents – la vraie cohésion intime, le propre, il ne l’apprend pas ainsi – tout autre chose quand il vit avec lui, le voit agir, lit ses lettres et ses écrits, alors il acquiert une intuition de son essence – de même, absolument, la lecture de nos sources du droit romain ; l’affaire principale n’est pas dans le contenu qu’on peut en retirer, mais dans leur complète qualité littéraire, leur méthode, nous devons nous lire en eux de telle sorte que nous pensions et travaillions dans leur style et puissions porter plus loin encore ce style . » Mais l’expression l’a tellement marqué qu’on la retrouve bien plus tard, en 1840, dans la préface à son Système du droit romain actuel – traduit en français par Guénoux sous le titre Traité de droit romain, et ici la perte de sens est considérable ! – après avoir précisé le but qu’il convient d’assigner à notre connaissance actuelle du droit romain : « Si la connaissance du droit romain doit nous conduire au but qui a été ici précisé, alors il n’existe qu’une seule voie : nous devons, de façon autonome (selbständig), nous lire et nous penser dans les écrits des anciens juristes ». Les dictionnaires modernes donnent pour « sich hineindenken » : se mettre à la place de, dans la peau de, s’identifier avec. Pour « hineinlesen » (la forme réflexive n’étant plus donnée), on y voit un synonyme de « hineininterpretieren », c’est-à-dire mettre dans le texte quelque chose qui n’y est pas et qui donc vient du lecteur ou de l’interprète, surinterpréter. Mais il ne s’agit sûrement pas pour Savigny de surinterpréter. Pour ma part, j’ai choisi une traduction « littérale » qui met l’accent sur le réflexif (nous penser dans et nous lire dans). Il est possible bien sûr que je me pense et me lise moi-même dans cette traduction-interprétation ; il est possible même que je surinterpète Savigny (oui, mais où est le modèle original du sens vrai d’après lequel je pourrais juger et vérifier la justesse de ma traduction-interprétation ?). Ce qui me semble en tout cas assez sûr, c’est que, par cette formule, Savigny entend nous livrer un élément central de méthode. Souvenons-nous : « L’activité bien avisée de chaque époque devrait être destinée à déchiffrer, rajeunir et rafraîchir cette matière donnée avec nécessité interne. » Il y a là d’abord la nécessité : la nécessité interne, une nécessité qui s’impose en conscience et non pas mécaniquement comme l’effet d’une cause externe. Cette nécessité interne établit donc un rapport entre des contenus de conscience passés et les contenus de conscience qui doivent vivre dans le juriste actuel. Sans ce travail, sans cette activité qu’est, que doit être la conscience du juriste actuel, une telle appropriation n’est pas possible. Il faut donc lire et, surtout, penser. Puisque ce lire et ce penser sont une activité de conscience du juriste actuel, celui-ci s’investit lui-même dans son rapport aux anciens, aux classiques. Lire et penser, ce n’est pas simplement réceptif. C’est aussi, nécessairement, productif. (Il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont Jhering, le premier Jhering, reprend ce motif de la pensée savignicienne lorsqu’il insiste sur le fait que le moment réceptif de la science du droit n’est que le degré minimal d’une science qui n’atteint à sa vraie mission qu’en se faisant productive, ce qui caractérise son rapport non pas aux contenus empiriques du droit romain, mais à l’esprit du droit romain .) Confronté aux écrits anciens, le sujet-juriste est d’abord dans un face-à-face avec quelque chose qui lui est étranger. Mais il lui faut cela même que Schleiermacher dit du traducteur : du goût pour l’étranger. Et pourtant, malgré une telle dilection, il ne doit pas s’échapper à lui-même. Tout à l’inverse : il doit, à travers les œuvres passées, se saisir de soi, faire en sorte que la conscience qu’il prend de l’étranger soit aussi conscience de soi, condition indispensable par laquelle seulement il pourra, précisément, travailler le jardin du droit, « déchiffrer, rajeunir et rafraîchir » le droit romain. Pour ce faire, ce n’est pas tant aux contenus pris en eux-mêmes et pour eux-mêmes qu’il doit s’attacher, car ceux-ci, non fécondés par une manière de faire avec eux, par une méthode, ne sont que lettres mortes, branches mortes. Ce qui fait la communication spirituelle entre les morts et les vivants, ce ne peut être ni la matière brute – les contenus de normes tels quels – ni la forme vide – le jeu de l’esprit avec lui-même et sur lui-même, mais seulement la matière fécondée par l’esprit ou, ce qui revient au même, l’esprit gros de sa matière. « D’après la méthode que je tiens pour juste, écrit Savigny dans sa recension du pamphlet de Gönner, l’on cherche dans le divers qu’offre l’histoire l’unité plus haute, le principe vital à partir duquel les manifestations singulières doivent être expliquées et ce, de telle sorte que le donné matériel soit toujours davantage spiritualisé (vergeistigt) ». Ainsi la matière morte, qui ne vit pas ou plus dans l’esprit se détache comme d’elle-même de l’arbre de la science véritable et vivante et l’esprit superflu, qui ne joue que sur lui-même ou sur de l’anti-matière (le droit naturel par exemple), est conjuré et banni du terrain de la science authentique. Et il appartient au juriste, dans son époque, de rafraîchir, revivifier par sa propre activité spirituelle le droit – qui n’est pas pure matière ni pure forme – qui ne vit que dans le travail, l’activité continue et inlassable des consciences, des esprits. Évidemment, la codification est la tentation de couper court à ce travail, puisque l’autorité qu’elle revendique et impose, n’est pas celle de l’esprit, mais celle de la puissance politique, législative, de la puissance de l’État qui, précisément, chez Savigny, ne participe pas essentiellement de l’esprit du peuple mais n’en est que la « leibliche Gestalt », la forme corporelle . Lire les anciens, c’est d’abord faire, en soi, une expérience de l’étranger à soi, s’ouvrir à l’étranger. Cette ouverture n’est possible que si le texte est mis en contexte, c’est-à-dire resitué dans l’espace culturel ou spirituel qui est le sien. Le premier effort de lecture consiste donc à lire « historisch », à saisir le texte et son auteur dans les conditions de son époque et des époques qui le précèdent. Historisch lesen : sans quoi, nécessairement, dit Savigny dans son cours de 1802, « on lit mal ». Ce moment historique de la lecture est celui du décentrement du sujet : il doit s’abandonner lui-même et reconstruire ce monde étranger dans lequel est né le texte (retrouver l’unité d’un monde perdu et étranger, c’est aussi la tâche de l’historien selon Humboldt, comprendre par exemple l’homme grec, ramener ses manifestations, ses « Offenbarungen » – ses « révélations » – à une plus haute unité). Mais on lit mal aussi, si on lit seulement « historisch ». Il faut lire également « kritisch », c’est-à-dire « dans la lecture comparer le livre même avec son propre idéal ». C’est-à-dire : « On cherche soi-même à faire quelque chose. » Donc : recentrement, concentration du sujet lisant, la critique comme mise en question de moi dans ce rapport à l’étranger, « mise en crise » dit Roland Barthes pour critique. Le lecteur critique est « selbsbewusst », conscient de soi au sens philosophique du terme, mais pas « selbstbewusst » au sens commun et actuel de la langue allemande, c’est-à-dire « sûr de soi ». Il ne faut pas se placer au-dessus de l’auteur, dit Savigny. La lecture « critique » – ce mot irrigue, après Kant, la pensée romantique – s’opère dans la conciliation de deux idéaux régulateurs apparemment antithétiques de la pensée herméneutique qui se développe à l’époque de Savigny : interpréter l’auteur de telle sorte qu’on le comprenne mieux qu’il ne s’est compris lui-même ; ne jamais se placer au-dessus de l’auteur et de la chose interprétés. Par la lecture, « se penser ». L’expression est d’autant plus forte chez Savigny qu’elle renvoie à un motif récurrent de sa pensée – et de la pensée romantique : Selbstdenken. Penser par soi-même, peut-on rapidement et assez correctement traduire. Mais l’on peut aussi approfondir un peu, jouer avec cette notion dont Dieter Nörr rappelle qu’elle était très à la mode à l’époque . Indiquer d’abord que le Selbstdenken fait évidemment écho à Selbstbewusstsein et qu’il s’agit donc toujours d’un travail par lequel le sujet se saisit de soi, forme, configure et affermit la conscience qu’il a de lui-même (sich bildet, et l’on sait l’importance de la Bildung qu’on ne sait traduire en français, ni par « formation », ni par « culture ») et accède à l’individualité au sens de Savigny. Novalis joue sur le mot « Selbstdenken » : c’est bien sûr penser par soi-même mais aussi, dans le même temps, sans séparation de ces deux mouvements, se penser soi-même . Dans le §40 de la Critique de la faculté de juger, énonçant les trois maximes qui doivent guider le jugement, Kant pose au point de départ le Selbstenken : « 1°) Penser par soi-même ; 2°) Penser à la place de tout autre ; 3°) Penser à chaque instant en accord avec soi-même. » Chez les Romantiques, et notamment chez le jeune Schleiermacher, cette vision est modifiée en ce sens que, s’il reprend l’idée kantienne selon laquelle penser par soi-même non seulement n’est pas incompatible avec la démarche pour « l’étranger », mais exige, pour qu’un jugement soit possiblement juste, de se décentrer de soi-même et de pouvoir penser à la place de tout autre, ce qui chez Kant est de l’ordre de l’idéal et du « comme si » (penser comme si je me mettais à la place de tout autre) devient dans le premier romantisme un idéal concrétisé : il faut penser par soi-même en s’ouvrant concrètement à autrui, penser par soi-même mais « avec autrui ». Seul celui qui procède à cette ouverture de soi pour penser par soi-même peut participer de l’idéal de la socialité, la Geselligkeit romantique, dont Schleiermacher fait la théorie en 1799 et dont le principe réside dans « le libre commerce d’hommes raisonnables qui se forment (bilden) les uns les autres ». Cette figure du Selbstdenken débouche sur l’idéal qu’on trouve dans l’Athenaeum, la revue des frères Schlegel, organe essentiel du premier romantisme allemand , un idéal de Symphilosophie, une expression qui a marqué le jeune Savigny. « Sans socialité (Geselligkeit), la vie ne vaut guère la peine d’être vécue », écrit-il en 1798. Ou, plus clairement encore : « L’atmosphère véritable de l’homme intérieur est la société » (je souligne). Joachim Rückert a consacré à ces questions de remarquables développements . Lire les classiques, c’est former société avec eux dans l’accomplissement du devoir moral de la Bildung, de cette obligation intime qui nous appelle à nous « cultiver », nous « former ». Penser par soi-même, mais pas sans les classiques. Individualité, mais pas sans cette société de la Bildung mutuelle. Lire les classiques c’est bien sûr se former soi-même, mais c’est aussi, réciproquement, les reprendre et d’une certaine manière les « former » encore : rafraîchir, rajeunir, entretenir. Dans une note de cours datant de 1803-1804, on lit : « Divers concepts du Selbstdenken, selon le penser variable de celui qui juge. « Selbstdenkende Juristen » : habituellement, ceux qui sont capables de produire un principe logiquement correct sans avoir à le recopier [échapper à la reproduction mimétique qui n’est pas le principe de l’école historique. O.J.], ou bien encore qui jugent et écrivent les yeux fermés au-dedans même de l’objet. Idéal : Individualité scientifique, mais qui n’est possible que dans la plus stricte légalité scientifique ». La liberté d’esprit, qui doit gouverner le travail scientifique – sur ce point il faut relire la préface au tome 1 du Système du droit romain actuel – comme elle doit gouverner l’organisation de l’Université – et il faut relire l’essai intitulé Essence et valeur des Universités allemandes – n’est pas une liberté « sauvage » – pour reprendre l’expression de Kant – et séparée, mais une liberté socialisée et domestiquée dans la communauté de la Bildung. Il ne peut exister de « domaine scientifique » si ceux qui l’occupent n’ont pas fait cet effort de penser par eux-mêmes avec autrui et n’ont pas ainsi réussi à domestiquer, « orienter » en eux les « forces de l’esprit ». Il me reste à faire une remarque avant une conclusion un peu désabusée. Parce qu’elle est donc la condition du Selbstdenken et de la liberté de l’esprit nécessaire à toute science en général et à la science du droit en particulier, la lecture des classiques est la méthode scientifique par excellence. Et Savigny propage l’expression « science du droit », encore peu usitée à la fin du xviiie siècle. Mais cette science, l’on voit un peu mieux ce qu’elle est : non pas science des lois au sens de l’interprétation mécanique des textes, mais au fond science de la science, culture de l’esprit scientifique. L’on connaît généralement les « canons » savigniciens de l’interprétation des lois. On peut laisser de côté le fait que, lorsqu’on a ainsi canonisé les développements de Savigny consacrés, dans le Système, à l’interprétation des lois, l’on a amputé le discours savignicien. Mais il suffit de remarquer ceci : lorsque l’office de l’interprète est décrit comme la « reconstruction de la pensée immanente à la loi », il ne s’agit pas tant de retrouver l’intention de l’auteur, que de mobiliser toute la culture historique du droit pour découvrir non pas seulement un sens, mais une pensée. « L’interprétation, écrit Savigny, est un art, et la culture de cet art (Bildung) est favorisée par les modèles d’excellence que l’on trouve dans les temps anciens et modernes et que nous possédons en grand nombre ». Les « méthodes » d’interprétation supposent une « méthodologie » ou une « méthodique » (Savigny emploie le mot « Methodik ») plus profonde, plus initiale, celle qui consiste en cette auto-formation auprès des anciens, des classiques. Méthodologie donc qui doit prospérer dans les Universités, comme lieu de la libre communication des esprits, et constituer ainsi un ensemble d’ « instructions à l’étude personnelle de la discipline juridique », un autre nom de la méthodologie chez Savigny. De la façon la plus conséquente, Savigny estimait qu’il fallait avoir pour but dans les facultés de droit, « dès le départ », une « éducation littéraire complète ». Non ce n’est pas trop dur pour l’étudiant : c’est un but pour lequel il faut prendre le temps. Il y a un « lien nécessaire entre méthodique et histoire littéraire ». Lire le classique Savigny, c’est aussi rappeler cet idéal-là. Un idéal conservateur ou même réactionnaire ? On ne lit plus les classiques dans les facultés de droit, ou si peu. On se contente tout au plus des manuels qui les prédigèrent, ce qui est une perte, quelle que soit la qualité du manuel. Les juristes qui travaillent avec des textes ont largement perdu la culture du texte. Mais la question que l’on peut poser, après avoir lu Savigny, c’est bien sûr celle de savoir quel droit l’on fait ainsi ; mais c’est aussi celle, somme toute plus fondamentale encore, de savoir comment l’on apprend aux juristes, que l’on coupe ainsi des classiques, à « penser par eux-mêmes ».
Olivier Jouanjan
Professeur à l’Université Robert Schuman de Strasbourg