L’ordo alexandrin : Sa’id ibn Batriq, Selden, et la hiérarchie ecclésiale. De l’Orient chrétien à l’ecclésiologie primitive
Parmi les domaines du droit abordés par John Selden, celui des institutions religieuses a particulièrement retenu son attention. S’il a traité, à la jonction de l’érudition et des problèmes de son temps, des sujets concernant surtout son pays, les textes et les institutions hébraïques ainsi que l’antiquité syrienne, un livre pourrait paraître marginal par rapport à ces grands domaines. En 1642, il publie à Londres un extrait du Nazm al-zawhar de Sa’id ibn Batriq (877-940), qui fut patriarche d’Alexandrie, et dont le nom a été latinisé en Eutychius. Si l’on excepte la tentative du maronite Jean Ibn Quriaqos-Sanduq, avant 1625, qui n’a pas abouti, Selden est le premier à éditer et traduire cet auteur. Après une préface, Selden publie en douze pages, sur deux colonnes, l’original arabe et sa traduction latine, accompagnée d’un long commentaire de cent quatre-vingt quatre pages, présenté sous la forme de notes au texte principal. Il s’appuie sur un manuscrit de Robert Cotton et sur un autre qu’il possède. Gerald Toomer a fait remarquer l’intérêt profond et constant que Selden porta à Eutychius, cité dans nombre de ses ouvrages.
L’implication de Selden dans la vie parlementaire l’amène à mêler prudence civile, pragmatisme confessionnel et érudition ecclésiastique. C’est dans ce contexte politique que les sujets qui touchent directement l’histoire du droit se retrouvent au premier plan. Par ailleurs, comme par son érudition reconnue il est l’un des rares laïcs à siéger dans des commissions d’ecclésiastiques, il intervient aussi par ses publications et sa recherche de manuscrits peu courants qui apportent des renseignements sur l’Église naissante ; les langues orientales présentant son visage sous un angle encore inédit et exotique par rapport aux sources utilisées précédemment. Comme le montre bien le titre du volume d’un grand juriste protestant, François Hotman, il s’agit de déterminer De statu primitivae Ecclesiae. Sous cet angle, la parution d’Ecclesiae suae Origines paraît significative de l’apport de Selden aux débats qui entourent l’Église d’Angleterre et qui agitent le Long Parliament et la Westminster Assembly. Le titre intégral insiste d’ailleurs sur l’antiquité de la source et sur la nouveauté de sa publication : Eutychii Aegyptii, Patriarchae Orthodoxorum Alexandrini, Scriptoribus, ut in Oriente admodum Vetusti ac Illustris, ita in Occidente tum paucissimis Visi tum perraro Auditi, Ecclesiae suae Origines. Ex ejusdem Arabico nunc primum typis edidit ac Versione & Commentario auxit Ioannes Seldenus.
Concernant le droit, on s’interroge bien souvent sur son rapport à ses origines, à son institution et à la géographie qu’il norme. Dans ce contexte, en quoi l’extrait d’Eutychius sélectionné peut-il être significatif pour Selden et ses contemporains ? Dans quelle controverse s’insère-t-il, et comment cet exemple est-il reçu ? Quelle est la portée du modèle alexandrin ?
Institution de l’ordo et fondation ecclésiale
L’un des aspects les plus importants du texte d’Eutychius est souligné dans la ratio editionis de la préface de Selden : « de Ordine Hieratico ». Le sujet apparaît dans le récit qui décrit la mission de l’évangéliste Marc à Alexandrie, au premier siècle. Après un miracle, il convertit un premier homme, Hananias, qu’il baptise et constitue patriarche de la ville. Dans le même temps, Marc institue « duodecim Presbyteros » dont le texte d’Eutychius décrit rapidement l’organisation. Ils officient avec le patriarche, et en cas de vacance du siège, ils élisent un nouveau titulaire parmi eux : celui-ci est alors créé par l’imposition des mains et la bénédiction, un remplaçant étant également élu par le collège des prêtres, pour respecter le nombre initial décidé par Marc. Eutychius décrit la fondation d’une institution que Selden scrute mot à mot dans son Commentarius. Outre les variantes textuelles, les remarques onomastiques et chronologiques usuelles, il détaille les titres et les actions. Selon une conviction bien établie chez lui, il note que les « nomina officiorum sacrorum ut Patriarcha, Presbyter, Apostolus, Diaconus, Primas & Episcopus » sont issus de la tradition judaïque. C’est d’ailleurs la « vetustas » de ces noms et dignités dans le christianisme qui le retient. Un autre point important détermine l’enquête : l’opérateur d’équivalence seu, sive, qui témoigne de l’appellation flottante des premiers temps, et qui mobilise, comme on le verra, l’attention des érudits. Dès le début du Commentarius, Selden remarque qu’Eusèbe, suivi par Zonaras, parle d’un « secundus Episcopus Alexandrinus » pour désigner Abilius, successeur du premier patriarche, et sive établit alors une équivalence entre patriarchus et episcopus que Selden constate aussi dans nombre d’annales, de rites et de listes de titres.
Dans la lignée de ce rapprochement, ajoutant également le terme « antistes », Selden s’interroge plus avant sur la « Patriarchalis Nominis significatio ». Le terme désigne la fraternité chrétienne, autrement dit une communauté pensée comme cognatio. C’est pourquoi, « Syri & Arabes post Ebraeos intelligunt, quasi patrem summum, aut simplicitèr patrem interpreteris ». Ce vocabulaire de la paternité définit une communauté réunie autour d’un « principus » dont Selden donne comme synonyme « Primatus ». Le charisme des Anciens apparaît bien sûr dans les notes sur le « Pape », un autre nomen essentiel pour penser la hiérarchie. Selden constate son équivalence avec Avum, le latin papa étant simplement la translittération du terme grec pour désigner la paternité, comme en hébreu. La fin de l’extrait du texte d’Eutychius témoigne du fait que depuis le patriarcat d’Héraclas, la coutume s’était imposée d’appeler « Pape » le patriarche – en tant que « Pater Patrum ».
De même, presbyterus renvoie à la figure de l’Ancien, et Selden met le terme arabe et syrien kashish en rapport avec « Cascus olim in Latinum vetus, pro Sene derivatum ». En 1623, le lexicographe Mathias Martinius proposait d’ailleurs presbyterus comme équivalent de cascus. Ces identifications entre évêques, prêtres, diacres se retrouvent dans le titre de « Père » donné aux participants des conciles œcuméniques de l’Antiquité. Mais si des équivalences lexicales permettent de substituer episcopus à presbyterus, Selden note bien la distinction des termes puisque Eutychius témoigne, pour cette période, de l’absence d’évêques à Alexandrie. Alléguant Isidore de Séville et Yves de Chartres, Selden rapporte d’ailleurs l’opinion selon laquelle les presbyteri correspondent aux sacerdotes de l’Ancien Testament.
Nomen et ordo s’enchaînent : ces termes sont importants en ce qu’ils déterminent une titulature, une hiérarchie, et des fonctions, autrement dit une « institutio ». D’où la longue part du Commentarius consacrée aux actes d’ordination dont Selden se sert pour qualifier le « munus » des « Presbyterorum ». Après avoir constaté l’évidence de la cheirotonia (ou imposition des mains) et de la bénédiction pour élire et consacrer un patriarche ou un prêtre dans la littérature néotestamentaire, il détaille le ius ordinandi qui décide des conditions nécessaires pour la « collatio », un terme qui désigne le symbole de foi, la délibération et l’action de conférer une dignité. Selden insiste sur l’aspect codifié et formulaire de la bénédiction prononcée, et là encore, il ancre dans la profonde antiquité des textes hébreux ces rites et les sources d’Eutychius : déjà, les formules qu’il trouve au temps d’Esdras sont des « Benedictiones Ordinatae ». Quant à l’imposition des mains, c’est notamment la fin du Deutéronome (34.9) qui précise l’aspect intérieur de l’ordo, autrement dit le charisme provenant de la « Majestas divina » : « Josué fils de Nun, était rempli de sagesse, car Moïse avait posé ses mains sur lui ». L’aspect extérieur de l’ordo correspond à la nature juridique de l’acte. Pour souligner l’importance juridico-judiciaire de la désignation solennelle par la main, Selden donne « similiter » l’exemple de la « manumissio per vindictam ». Détaillé dans le Digeste (l. 40), cet affranchissement légal qui se déroule dans les formes, devant un magistrat, est rapproché par Selden de l’exomologèse, l’imposition des mains permettant aux hérétiques – qu’il n’est pas nécessaire de rebaptiser – de revenir dans le giron catholique. Pour ce faire, Selden utilise le huitième canon du premier concile de Nicée réuni par Constantin et l’Historia d’Eusèbe (7.2) qui allègue à ce sujet une lettre de Denys d’Alexandrie au pape Étienne. Rapprochée de l’exomologèse, la libertas de la « manumissio » donnée par une instance supérieure n’est pas sans rappeler la création de la communauté par libération : libération d’Égypte par Moïse, libération de l’ancienne humanité par le Christ. La cheirothesia, écho de la cheirotonia, souligne ainsi la double dimension de l’ordo qui formalise l’entrée dans un corps et l’organisation de celui-ci. L’ordo ne définit pas seulement le résultat de l’ordinatio dont Pierre Van Beneden a montré l’« empreinte juridique », autrement dit une fonction, un siège, mais aussi une communauté considérée du point de vue de sa constitution, puisque c’est l’ensemble des douze prêtres – image du premier collège apostolique – qui élit en commun l’un des leurs pour conserver la forme première instituée par Marc. Le peuple égyptien donnait le nom de « Christ » aux Pères, qualifiés par une qualité sacramentelle.
Ainsi, l’ordo renvoie à l’entrée dans une classe particulière : après l’énumération des ordines de l’ancienne Rome (ordo sénatorial, équestre, plébéien), Selden donne comme exemple d’ordo : curia, corpus, collegium, sodalitium (confrérie). Mais la suite de la narration d’Eutychius amène à distinguer deux compositions différentes de la communauté, puisqu’on évolue de l’ordo presbyterum à l’ordo episcoporum, la capacité d’ordonner est transférée de l’un à l’autre. La première institution perdura deux cent cinquante ans, jusqu’au patriarche Alexandre qui décida que le patriarche serait désormais créé par des évêques. Cette situation permet à Selden de confronter l’ecclésiologie primitive à la tradition, à sa part humaine, à son héritage, et à l’impact de l’élaboration dogmatique conciliaire. Bien plus qu’une structure idéale et fixe, le texte d’Eutychius indique une rupture dans le « mos Alexandrinus » jusque là « immutatus », et l’émergence d’un épiscopat égyptien à qui l’on réserve le pouvoir d’ordination. Ce changement est mis en consonance avec le premier concile de Nicée en 325 auquel Alexandre participa, notamment pour la condamnation d’Arius. À défaut de réunir l’ensemble du corps épiscopal pour ordonner un nouvel évêque, le célèbre quatrième canon, intégré au Décret de Gratien, impose le nombre minimal de trois. C’est précisément le nombre d’évêques créés par le prédécesseur d’Alexandre, Demetrius, en 280, une institution qui engage Selden à citer un texte attribué à Ambroise concernant « de promiscua nominis & muneris Episcoporum & Presbyterorum » qui permet de comprendre le phénomène de mutation postérieure. L’Ambrosiaster, qui évoque à la fin du ive siècle le presbytérat égyptien et son antiquité, s’appuie sur l’image paulinienne utilisée en Éphésiens 4 de l’« Unus Corpus et unus Spiritus » qui unifie « Apostolos, quosdam autem Prophetas, alios vero Evangelistas, alios autem pastores, & doctores, ad consummationem sanctorum in opus ministerij, in aedificationem corporis Christi ». Dans une étude sur le patriarcat oriental, Joseph Feghali affirmait d’ailleurs : « Les Églises pauliniennes étaient gouvernées, aux temps apostoliques, par un collège, dont les membres étaient appelés indistinctement presbytéroi ou épiscopoi et qui paraissent bien dotés du pouvoir d’ordre épiscopal ; mais ceux-là restaient subordonnés à l’Apôtre, qui avait fondé l’Église locale ». Notons que le même Ambriosiaster peut écrire, grâce à sa conception de l’évêque incluant l’office sacerdotal : « Episcopi et presbyteri una ordinatio est ». Quant à Selden, il conclut en insistant sur la légitimité du pouvoir presbytéral d’ordination, et sur l’évidence avec laquelle Eutychius l’énonce : « Eutychius vero de Jure simplici seu institutio illo veteri tantum loquitur ».
Incidemment, ce changement de « gubernatio Ecclesiastica » permet à Selden d’avancer un texte qui ne s’oppose pas plus aux épiscopaliens qu’aux presbytériens. S’autorisant tout aussi bien du commentaire de Balsamon au Nomocanon, d’une épitaphe constantinopolitaine, que de la suscription d’une lettre d’Athanase au « Beato Papae, Episcopo nostre Alexandro », il souligne une fois de plus la plasticité des titres en montrant que les évêques sont aussi appelés « papes », avant que le pontife romain ne veuille s’approprier ce nom commun qui ne désigne pourtant qu’une dignité sans contenu juridique. Déjà, à propos de l’episcopus, Selden avait distingué radicalement cette dignitas de l’imperium et de la potestas. L’unité collective et première, soulignée par l’équiparation des titres et le partage des actions qui en découle, prend toute sa dimension polémique, et son sens véritable, si on la replace dans le réseau de controverses qui forme le cadre dans lequel s’insère Selden.
Le contexte des controverses : antiromanisme et ecclésiologie primitive
Dans l’histoire du droit et de la hiérarchie ecclésiale, l’épiscopat occupe une place de choix. La contre-réforme post-tridentine a investi tout particulièrement cette figure. Son charisme a été restauré par Barthelémy des Martyrs, par les grandes figures borroméennes et la multiplication des Bishopspiegel, comme Hubert Jedin appelle ces nombreux traités de l’évêque parfait. Les auteurs insistent sur le statut hiérarchique particulier de celui qui transmet la doctrina tout autant que la légitimité d’une origine apostolique et d’une source normative. Combinant sens historique, hiérarchique et normatif, l’évêque est classiquement dépositaire de la Tradition, d’où l’importance des listes prosopographiques. Son institution divine, un dogme fort ancien, ne fut que tardivement défini par le concile de Trente. En effet, parmi les controverses liées au statut de cette tradition, la Réforme a remis en cause radicalement les élites ecclésiales, et dans les problèmes à traiter, soumis en 1551-1552 par le secrétaire du concile aux Pères tridentins, figure la mention du sacerdoce unique et de l’abolition de l’épiscopat.
C’est très exactement dans ce contexte de différend confessionnel que la publication de Selden se situe, même si son ton est assez différent des autres acteurs de la controverse. L’érudit ne défend pas une thèse péremptoire ; dans son introduction ou ses notes à Eutychius, on ne trouve aucune conclusion définitive. Ni épiscopalien ni presbytérien, il est le partisan pragmatique et tolérant d’une via media. David Berkowitz a remarqué la distance de l’« humanist lawyer » vis-à-vis de ses sujets. Il apporte simplement une pièce nouvelle au dossier qui lui permet, glosant chaque syntagme significatif, de faire des recoupements érudits entre domaines hébreu, païen, grec et latin. Pourtant, ce témoin alexandrin qui met l’évêque au second plan n’est pas pour déplaire à Selden, d’autant qu’il refuse l’expression de ius divinum pour qualifier l’institution épiscopale. Le fait d’avoir isolé cet extrait n’est pas anodin. Il est par ailleurs hautement significatif que, dès la préface, Selden se situe dans la filiation de la dispute entre le protestant Claude Saumaise (1588-1653), issu du milieu parlementaire de Dijon et élève du grand romaniste Denis Godefroy, et le jésuite Denis Petau (1583-1652). S’il fait référence à l’échange tout récent de 1640, les dissensions entre les deux érudits français datent déjà d’une vingtaine d’années. En 1622, Saumaise publie le De Pallio de Tertullien avec un ample commentaire où il écorche un monument que vient de faire paraître Petau : l’édition et la traduction des œuvres complètes d’Épiphane de Salamine (ive siècle), dont son fameux Panarion. Le choix du premier Père latin, d’autant qu’il est africain, pour répondre au grand hérésiologue de Chypre édité par un jésuite, n’est pas le fait du hasard. La réponse, où la « Salmasii studipissima hallucinatio » est stigmatisée ne se fait pas attendre, et le débat s’engage sur la lexicologie gréco-latine qui concerne notamment la titulature.
Mais le débat auquel fait référence la préface de Selden concerne l’énorme Dissertatio de foenore trapezitico publiée à Leyde en 1640, qui fait suite à un De Usuris (1638) et à un De Modo usurarum (1639). Parmi les sujets traités, Saumaise revient à plusieurs reprises, et sans ambiguïté, sur l’identité des episcopoi et des presbyteroi, sur la nature du munus (curare, docere, orare) qui implique que : « Veteribus Episcopatus in ecclesia non fuit nomen dignitatis aut potestatis, id est […] curationis & administrationis ». Son fidèle ennemi jésuite riposte par un volume dédié à Richelieu qui recentre le sujet sur l’épiscopat : Dissertationum ecclesiasticarum libri duo, in quibus de Episcoporum dignitate, ac potestate ; deque aliis Ecclesiasticis dogmatibus disputatur. L’opposition est bien sûr frontale : « In libro de Trapezitico fenore multa de Episcoporum ordine, & antiqua eorum institutione scripta sunt absurda, falsaque ». Saumaise dénature la fonction épiscopale et fait le portrait d’un magistrat sans iurisdictio. À l’inverse, s’appuyant sur Cicéron et le Digeste, Petau coordonne dignitas et auctoritas et montre la nature indissolublement juridique d’un évêque dont la fonction repose sur la ligandi & solvendi potestas transmise par Pierre et prouvée par les collections conciliaires et patristiques. Or, le pouvoir des clefs réside dans l’administration des sacrements, « quorum ius omne penes Episcopus erat ». Le droit qui caractérise l’épiscopat dépend de sa nature apostolique, le nier c’est détruire la fonction elle-même et nier l’existence d’une hiérarchie où chaque grade a ses fonctions propres.
La controverse prendrait son origine dans la lettre 85 de Jérôme à Evagrius qui concerne l’ancienne coutume de l’Église d’Alexandrie et que Selden cite dès le début de sa préface : « Alexandriae à Marco usque ad Heraclam & Dionysium Episcopos Presbyteri semper unum ex se electum in excelsiori gradu collocatum Episcopum nominabant ». Ce mode électif, comparé à l’armée créant son Imperator, est présenté par Jérôme comme un outil pour renforcer l’unité ecclésiale contre la menace schismatique. Le fameux Père hébraïsant fait d’ailleurs remarquer, dans la même lettre, qu’au sein du corpus paulinien « episcopus » et « presbyterus » sont deux noms pour une même personne. Pendant longtemps, aucun érudit n’avait pu trouver un texte équivalent à celui-ci. Avec Eutychius, Selden apporte dans le débat un témoin entièrement nouveau et concordant avec « l’Église du Christ » ainsi décrite par Jérôme, dont la lettre figure dans le vingt-quatrième chapitre de la quatre-vingt quatorzième distinction de Gratien. Avant Selden, la lettre de Jérôme apparaissait comme tellement singulière, qu’on a pu accuser les « Aërianorum » d’avoir corrompu son texte. L’une des sources principales sur les sectateurs d’Aërius est le Panarion d’Épiphane édité par Petau, qui présente ainsi les Aërii dogmata : « quanam, inquit, in re Presbytero Episcopus antecellit ? Nullum inter utrumque discrimen est. Est enim amborum unus ordo, par & idem honor, ac dignitas. Manus imponit Episcopus, idem facit & Presbyter. Divinum omnem cultum administrat Episcopus : non minus id facit & Presbyter. Episcopus in throno sedet : sedet & Presbyter ». On retrouve dans ses dogmata tous les sujets problématiques rencontrés jusqu’ici. Regroupant Aërius et Jérôme, le bénédictin Bernard Botte parle ainsi d’un « mouvement presbytérien » de l’antiquité. Les catholiques voient dans la doctrine de l’hérétique arménien du ive siècle une préfiguration du protestantisme, et les anglicans celle du presbytérianisme, puisque Peter Heylyn, chapelain du roi et professeur à l’université d’Oxford, publie en 1670 un Aërius Redivivus : or the History of the Presbyterians qui présente ceux-ci comme une « dangerous Sect ». Déjà, en 1661, le maronite romain Abraham Ecchellensis, après avoir visé Aërius dès la première page de la préface de sa publication contre Selden, établit plus loin une véritable généalogie où se succèdent les Vaudois, les Albigeois, Wyclif, Luther et Calvin. Le titre de ce livre dédié au pape Alexandre VII ne surprendra pas : Eutychius Patriarcha Alexandrinus vindicatus, Et suis restitutus Orientalibus ; Sive Responsio ad Ioannis Seldeni Origines. Arabisant de la Congrégation De Propaganda Fide, scriptor de la bibliothèque Vaticane, cet érudit du collège maronite à Rome, également courtisé par les savants parisiens, discute des textes orientaux d’égal à égal avec Selden, et retraduit même l’extrait d’Eutychius en question. Dans une lignée d’apologétique pontificale, il déploie l’Ecclesia romana comme « matrix omnium Ecclesiarum, fons, & origo totius regiminis Catholicae Ecclesiae ». Ce « nucleus Christianitatis » immuable est défendu contre les « nostri temporis Haeretici » (Saumaise et Selden) qui profanent le ius divinum en identifiant les ordres, grades, dignités et juridictions des prêtres et des évêques. L’érudition « précipitée » de Saumaise ne vaut rien face à l’infaillibilité prouvée par la célèbre péricope matthéenne du « Tu es Petrus ». En regard, la citation choisie par Selden pour figurer sur la page de titre de son Eutychius est on ne peut plus éloquente, puisqu’il emprunte aux Satyres de Perse leur ouverture (que Casaubon avait comparé à celui de l’Ecclésiaste sur la vanité) et le mépris du jugement de Rome : « — Non, si quid Turbi da Roma, | Elevet, accedas ; examinare improba in Illa. | Castiges trutina — ». Face à cette fine moquerie de la « trutina » (la balance, ou l’aiguille de la balance) de la ville éternelle, le jugement d’Ecchellensis est sans appel. S’il préserve l’orthodoxie d’Eutychius, c’est qu’il considère le commentarius de Selden comme une « interprétation adultérine », et son auteur comme un athée.
Le débat ne se limite pas à la discussion entre deux arabisants. Dès 1648, Jean d’Artis (1572-1651), antécesseur aux écoles de droit de Paris et professeur de droit canon au Collège royal, publie un De ordinibus et dignitatibus ecclesiasticis qui prend en compte l’apport de Selden. Dans cette réponse au De Primatu Papae de Saumaise, la première partie, consacrée à la différence entre les prêtres et les évêques, ne manque pas de rappeler la lettre de Jérôme sur le sujet « de consuetudine Ecclesiae Alexandrinae », douze prêtres qui élisent l’un d’eux comme évêque, d’Artis ajoutant aussitôt : « Et confirmatur, ab Eutyche Patriarcha Alexandrino in originibus Ecclesiae suae, editis à doctissimo & sapientissimo Seldeno ». Mais pour lui, Jérôme comme Eutychius ne sont que les témoins d’une tradition incertaine, à laquelle il oppose Nicéphore Calixte et Raban Maur qui témoigneraient de la distinction des offices et de la présence épiscopale dès la fondation du siège alexandrin par Marc. C’est le Christ qui institue les évêques, l’apôtre qui les consacre, et non pas le collège des prêtres qui sont les sujets des évêques. Quelques années plus tard, dans son monumental Commentarius de sacris Ecclesiae ordinationibus, dédié à Francesco Barberini, l’oratorien Jean Morin traite de ce thème avec le même scepticisme. Le titre du chapitre ne réserve aucune surprise quant à l’hostilité de l’auteur : « Alexandrinae Ecclesiae consuetudinem nunquam tulisse, ut ipsius Patriarcha sine Episcopis per solos Presbyteros regeret Patriarchatum suum ; neque ipsum per Presbyteros aliquando consecratum fuisse, ut quidam Eutychius Patriarcha scripsisse fertur. In paucissimis verbis multorum mendaciorum convincitur Eutychius ille. Prava textus Arabici interpretatio absurditatem auget ». Dès les premiers mots, Morin s’oppose aux thèses de Selden : « demonstraret rempublicam Christianam sine Episcopis regi posse, Presbyteros Episcopis pares esse, eosque posse è corpore suo Episcopum constituere & consecrare ». Se référant lui aussi à Raban Maur et à d’autres sources, il met en doute la fiabilité historique d’Eutychius comme la traduction de Selden. Quelques mois avant la publication de ce Commentarius, deux lettres d’Abraham Ecchellensis à Jean Morin attestent une correspondance consacrée à la publication de Selden. L’oratorien demande au maronite son opinion sur celle-ci, et celui-ci lui fait part de ses critiques sévères concernant la traduction et l’interprétation du texte du patriarche. À son tour, en 1713, l’orientaliste Eusèbe Renaudot s’oppose au travail de Selden, notant le statut inédit de l’œuvre d’Eutychius avant 1642 et son instrumentalisation presbytérienne. « Autoritas Eutychii nulla » synthétise de manière péremptoire une manchette. C’est inutilement que les Protestants rapprochent Eutychius de Jérôme, et Renaudot réfute en bloc le mélange entre élection et ordination, s’appuyant à l’occasion sur l’œuvre d’Ecchellensis.
Ces publications établissent une conjonction des thématiques de fond qui sous-tendent les débats techniques sur la hiérarchie. Quoique massive en elle-même, la controverse de l’unité d’ordre entre prêtres et évêques est l’élément d’un débat plus large : la pétrinité romaine, l’équilibre entre Orient et Occident, et la relative autonomie des patriarcats. Les premières publications de Saumaise, reconnues comme décisives dans son orientation intellectuelle, témoignent notamment de cet ancrage ecclésiologique. En 1608, il publie le De Primatu Papae Romani de Nil Cabasilas, successeur de Grégoire Palamas comme archevêque de Thessalonique au xive siècle. Dédié au grand avocat gallican du roi, Louis Servin, ce volume reprend la traduction latine de Bonaventura Vulcanius, qui, après avoir été bibliothécaire et secrétaire de François de Mendoza, archevêque de Burgos, est parti à Genève, attiré par la réputation de Théodore de Bèze. Antiromain fervent, Nil accuse le pape de s’instituer « solus controversiae magister ac iudex », alors qu’il devrait favoriser, à l’exemple du Christ, le « coetus » au sein duquel Pierre n’a jamais rien revendiqué, contrairement à ce qu’affirment les Latins. En aucun cas la primauté ne peut se réclamer de l’époque apostolique, et si l’importance de la Rome civile antique est reconnue par Nil, c’est aussitôt pour rappeler celle de Constantinople, la « Nouvelle Rome » et celle d’Alexandrie. La succession apostolique s’effectue dans l’ensemble du corps épiscopal, le pape n’étant qu’un évêque parmi d’autres, l’ordo le plus élevé étant celui de l’épiscopat. Ainsi, seuls les conciles universels peuvent entériner les décisions dogmatiques. À cet ouvrage antipétrinien, Saumaise adjoint en parfaite consonance le De Principatu Papae d’un contemporain, Barlaam de Seminara, un moine basilien qui fut higoumène du couvent Saint-Sauveur de Constantinople. Il n’est pas anodin de remarquer que Nil et Barlaam sont également réunis par le protestant Melchior Goldast, en 1611, dans sa célèbre collection partisane Monarchia S. Romani Imperii.
Si l’on rappelle que Petau est l’éditeur, outre d’Épiphane, de Themistios et de Nicéphore, que le grec Leo Allatius passé du côté romain lui a consacré un éloge en grec dédié à Francesco Barberini, l’ensemble des textes que j’ai cité dessine un évident tropisme gréco-oriental qui met d’autant plus en lumière l’intérêt du texte publié par Selden et sa signification générale. Plus largement encore que les coordonnées de la controverse, la situation alexandrine est significative. À l’unique romanité, Selden oppose l’orthodoxie d’une autre catholicité : celle des marges de l’Empire romain. Il dissocie catholicité et pétrinité, et joue tradition contre tradition.
Confins et autonomie : l’Église alexandrine comme orthodoxie chalcédonienne
Dans ces marges, Alexandrie occupe un rôle singulier et décisif, et c’est bien de l’identité de la ville dont il est question dans l’appréciation que permettent Eutychius et Selden, identité qui dévoile un laboratoire de la création d’une Église : il ne s’agit pas de Rome, mais pourtant de l’une des villes à la pointe de l’orthodoxie. Elle est aux confins de la romanité antique, comme la Grande-Bretagne, mais elle a pourtant joué un rôle déterminant dans l’élaboration dogmatique de la chrétienté. Selden s’intéresse à ses « archives » car non seulement c’est la ville de la Septante, mais ses patriarches Alexandre, Athanase et Cyrille d’Alexandrie participent pour les premiers à la condamnation d’Arius à Nicée, pour le troisième à celle de Nestorius au premier concile d’Éphèse (431). Dans l’édition de l’Adversus Anthropomorphitas par Bonaventura Vulcanius, Cyrille est dit « optimus orthodoxae fidei assertor ». À côté de ce rôle dogmatique éminent, l’importance du patriarcat alexandrin – qui apparaît parfois en seconde position après Rome, mais plus souvent en troisième après la « nouvelle Rome » – figure en toutes lettres dans le célèbre sixième canon de Nicée, naturellement cité par Selden, un canon qui enregistre la primauté métropolitaine de l’héritière du diocèse Augustal. Pour anodin que paraisse le récit rapporté par Eutychius, l’institution par Marc du premier patriarche participe d’un découpage géographique qui marque profondément la chrétienté.
Quand Isaac Basire (1608-1676) publie un De Antiqua Ecclesiae Britannicae libertate en 1656, il fait directement découler cette libertas des conciles œcuméniques de l’antiquité, évoquant Nicée et les « Jura Patriarchatuum à consuetudine introducta, à Conciliis firmata, ab Imperatoribus fuisse sanctita », Nicée rappellant le rang patriarcal d’Alexandrie. Basire publie d’ailleurs cet ouvrage après un long voyage au Moyen-Orient dont le but était d’établir une entente entre l’Église d’Angleterre et l’Église grecque.
Un témoin de choix de cet affrontement sur la nature de l’Alexandrie chrétienne est le chapitre qui lui est consacré dans la somme du dominicain Michel Le Quien (1661-1733) publiée en deux in-folios en 1740 par l’Imprimerie royale : Oriens christianus in quatuor patriarchatus digestus. Consacrant un long chapitre au « De secunda pridem Ecclesiae Christianae sede » et à « Marcus primus Alexandrinae ecclesiae institutor & fundator », Le Quien utilise les données historiques et prosopographiques des Annales d’Eutychius dans l’édition intégrale qu’Edward Pocock a effectuée sur les indications de Selden et à partir de son travail préparatoire. En tant que patriarche, l’auteur bénéficie d’une notice propre : « LIV. Eutychius catholicus » (alors que certains noms sont suivis d’un « haereticus »). Pourtant, il ne pouvait pas ne pas répondre aux soupçons que pourrait faire naître son témoignage sur le « coetus » presbytérien. Citant Jérôme puis Selden, mais seulement vis-à-vis de sa réfutation par Abraham Ecchellensis, Le Quien s’en remet au maronite contre l’enrôlement de l’alexandrin dans une controverse qui se fourvoie dans les cavillations, à la suite du mélange du vrai et du faux que l’on trouve chez Eutychius. En réalité, dans l’institution primitive, les presbyteros dont il parle sont des évêques inférieurs quand le patriarche est un « episcopus princeps » qui pouvait déléguer sa potestas. De Clément Ier à Sozomène, en passant par Épiphane, Le Quien veut prouver la nature épiscopale des officia des « presbyteros ». Une même volonté d’intégrer parfaitement Alexandrie à la hiérarchie de la romanité pontificale se retrouve dans le De Catholicis seu patriarchis chaldaeorum et nestorianum commentarius historico-chronologicus (1775) de Joseph-Louis Assemani, professeur de langues orientales « in Collegio Urbano de Propaganda Fide ». Après avoir assuré que les Anglicans, aux côtés des autres réformés européens, ne pouvaient se réclamer de la « politia Ecclesiae », du « Hierarchiae ordo » ou du droit divin, ni des canons antiques qu’ils accommodent à leur hérésie, il expose combien l’Église des premiers temps est un modèle législatif et hiérarchique institué dans la droite ligne de l’esprit du Christ. À cette occasion, il précise la titulature en prenant Alexandrie et le sixième canon nicéen pour référence :
« Commune ab initio omnibus Episcopis nomen ; postea Archiepiscopi, Metropolitani, Primatis, Exarchi, Catholici, & Patriarchae titulus pro uniuscujusque Ecclesiae dignitate attributus. Canone VI. Concilii Nicaeni haec Sedium Orientalium privilegia ab Apostolis orta indicantur. Cum enim Alexandrino Episcopo jus suum juxta formam Romani Patriarchatus his verbis tribuisset : Antiqua consuetudo servetur per Aegyptum, Lybiam, & Pentapolim itaut Alexandrinus Episcopus horum omnium habeat potestatem, quia & urbis Romae parilis mos est ».
Le canon nicéen est interprété comme une pure conformité d’Alexandrie à la forme donnée par Rome. Pourtant, le contexte hérésiologique dans lequel est exalté ce patriarcat nous amène à une toute autre forme de pensée de l’orthodoxie catholique, une orthodoxie autonome. Assemani vise les hérésies monophysites et nestoriennes, ce qui nous permet de passer de la question « pourquoi Alexandrie ? », à cette autre qui s’y ajoute logiquement : « pourquoi Eutychius ? ». Selden choisit en lui le représentant de l’Église melkite, autrement dit l’emblème d’une fidélité au concile de Chalcédoine (451), une Église uniate toujours restée fidèle à l’orthodoxie dogmatique qu’elle a même fortement contribué à créer, une orthodoxie qui constitue la source dont se réclame la romanité catholique. Dans la France classique, Louis Ellies Dupin témoigne de l’étymologie du terme et de l’alliance entre fidélité impériale et rectitude dogmatique : « Les Melchites ou Roialistes sont ainsi appellez, parce qu’ils suivent la Doctrine du Concile de Chalcédoine, que les Disciples de Dioscore considéroient comme une assemblée dans laquelle les Evêques avoient trahi la Foi pour complaire à l’Empereur Marcien ». Ainsi, le quatrième concile œcuménique convoqué par le successeur de Théodose entérine de fait la division christologique des Églises d’Orient, au moment même où le vingt-huitième canon augmente l’importance du siège de Constantinople. Voulant répondre à la doctrine de Nestorius, doctrine des deux natures et des deux personnes dans le Christ condamnée par le concile d’Éphèse (431), auquel Cyrille d’Alexandrie a participé et sur l’autorité duquel s’appuient les Pères chalcédoniens, l’archimandrite de Constantinople Eutychès tombe dans l’erreur opposée en soutenant qu’il y a unité de nature, de personne et de volonté dans le Christ. Dioscore d’Alexandrie prend le parti d’Eutychès, et les monophysites refusent Chalcédoine et choisissent d’instituer leur propre patriarcat jacobite à Alexandrie, du nom de Jacques Baraddée qui lui donne sa structure au vie siècle. Dyophysites, les melkites suivent une voie moyenne qui reconnaît deux natures et deux volontés dans le Christ, mais une seule personne, une seule hypostase : c’est la doctrine chalcédonienne imposée comme seule orthodoxe.
« Pourquoi Eutychius ? » La deuxième originalité de Selden est, bien sûr, d’utiliser une source arabe pour traiter de l’Église des origines, ce qui est peu commun. Dans les années 630-640, l’Église melkite passe sous domination arabe, ce qui va considérablement changer l’équilibre des forces en présence. Désormais, l’autorité omayyade joue de la rivalité entre Nestoriens (qui refusent Éphèse), Jacobites (qui refusent Chalcédoine) et Melkites. Pour éviter de disparaître, ces derniers, qui sont perçus par les historiens musulmans comme « la porte de l’Église de Rome », sont contraints de s’intégrer, et ils délaissent le grec pour l’arabe, notamment dans les péricopes scripturaires et les synaxaires. C’est d’ailleurs un moine melkite, Theodore Abu Qurrah qui le premier met en chantier une traduction du Nouveau Testament en arabe. Selden choisit de manière significative la toute première histoire chrétienne rédigée en arabe, à la fois influencée par l’annalistique des historiographes byzantins, et par le milieu des traditionnistes de Fustat dans lequel Eutychius est né. Mieux encore : les Annales sont conçues dans le genre ‘ilm al-kalam, un livre de controverse, et diffusées comme la référence d’une communauté confessionnelle qui affirme son identité face aux nestoriens, aux jacobites et face aux maronites. Elles représentent le livre engagé d’une Église minoritaire et résistante.
Qu’est-ce que la catholicité ? Le tropisme chalcédonien n’est pas sans rappeler cette distinction reprise dans le Commentarius de Selden qui déplace à la fois la compréhension de la « romanité » du xviie siècle et le centre de gravité du débat : à l’époque d’Eutychius, le terme « Romania » s’applique à l’Empire d’Orient alors que les « Latini » renvoient à l’Empire d’occident. Pour les latins de Rome, la catholicité correspond à l’extension universelle de leur modèle pétrinien, pour Selden, il s’agit de l’autonomie uniate qui lui permet de faire le portrait d’une Église chalcédonienne, modèle d’un mos britannicus au point qu’Eutychius est présenté en miroir comme le « Bède d’Égypte ». Cette fraternité textuelle, historiographique et géographique se conclut dans la rectitude dogmatique d’une Église d’Angleterre qui se pense comme fidèle, dans sa recherche, aux fondements les plus fermes de la tradition. Le moment apostolique de l’Église naissante avec Marc instituant l’Église patriarcale d’Alexandrie en collaboration avec l’autorité de Pierre, Eutychius comme témoin orthodoxe et arabe des « archives » orientales et d’une Église chalcédonienne, enfin le commentaire de Selden qui ancre ces deux premiers plans dans les structures hébraïques et l’orthodoxie catholique non romaine : ces trois plans forment une chaîne de légitimation qui donne tout son sens à ce que l’érudit ne proclame pas de manière partisane.
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