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Sommaire de l'article

Claude Habib et Philippe Raynaud

 

 

 

 

 

 

 

La civilité classique est née dans un monde hiérarchique mais elle ne se réduit nullement à une sacralisation de l’inégalité, car son empire s’est étendu très au-delà de l’aristocratie, dont elle n’a pu conforter la puissance qu’en lui imposant des manières moins figées que celles de l’ancienne étiquette. Le succès de ces manières nouvelles dépend en effet de leur charme, puisqu’elles se diffusent par le plaisir dont elles sont l’occasion. En France, le développement de la civilité classique accompagne la pacification interne de la société, après les troubles religieux et, s’il coïncide avec l’absolutisme, c’est pour en mitiger les effets.

 

Le colloque « civilité classique », co-organisé par Claude Habib et Philippe Raynaud, a réuni des juristes, des philosophes et des littéraires ; il faisait suite à la journée sur « Montesquieu et la civilité » dont les actes ont été publiés dans le deuxième volume de l’Annuaire de l’Institut Michel Villey. Nous nous proposions de redéployer la notion en partant des origines européennes du phénomène (Castiglione, Montaigne, Gracian), pour brosser un tableau de son apogée à l’âge classique, en cherchant à la distinguer des notions voisines de courtoisie, d’honnêteté, de galanterie, de politesse, avant d’examiner les remises en cause qui sont apparues au siècle des Lumières et pendant la Révolution.

 

Définie comme une « espèce de commerce d’amour-propre, dans lequel on tâche d’attirer l’amour des autres en leur témoignant soi-même de l’affection » (Nicole), la civilité fut soupçonnée d’une double connivence avec le monde et ses vains prestiges, avec le moi et ses duperies. Quelles relations de parenté ou de tension la civilité a-t-elle nouées avec la doctrine chrétienne (Nicole, La Bruyère) ? Quel lien a-t-elle avec la civilité des juristes (Domat, d’Aguesseau), qui prolonge le jus civile romain et qui permet au juge de rappeler au prince les normes de la raison ou du droit naturel ? Vertu sociale et superficielle, souvent prise en défaut dans le discours moral et religieux, quel fut son pouvoir sur les violences, sociales ou passionnelles, réelles ou symboliques ?

Nous avons cherché à reconstituer les opinions des acteurs contemporains, à recenser les arguments des défenseurs et des détracteurs, avant de parcourir la réflexion pro et contra dont la civilité fut l’objet au siècle des Lumières (Montesquieu, Voltaire, Rousseau). Le point commun est sans doute la politisation de la question, les manières étant, depuis Montesquieu et de façon récurrente, mises en relation avec le régime politique. Cette remise en cause culmine avec la Révolution française, qui emporte les « formes » de la civilité en même temps que celles du droit, et qui relance ainsi à nouveaux frais les débats des Lumières. Ce procès se poursuit, d’une certaine manière, dans le monde démocratique, où le culte de l’authenticité entre souvent en conflit avec la culture des formes civiles. Il ressurgit aussi dans les sciences sociales, qui peinent à saisir la distance que la civilité a introduite dans le monde hiérarchique de l’étiquette.

 

La civilité est née dans ce monde d’Ancien Régime qu’on a pu décrire comme une longue chaîne de dépendance : que peut-il en rester lorsque les anneaux de la chaîne sont défaits et séparés ?

 

 

 

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